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jusqu’en 1848 on peut évaluer la production des métaux dans ce pays à 37 milliards 148 millions, composés de 122 millions de kilogrammes d’argent et 2,910,000 kilogrammes d’or[1] ; en d’autres termes, sous l’influence de l’exploitation des mines d’Amérique, la production de l’argent à l’or a été comme 33 : 1, et, malgré cette disproportion énorme, le rapport du peu de l’or à l’argent, qui était de 1 a -13 ou 14, ne s’est élevé que de 1 à 15 1,2, tandis qu’il aurait dû s’élever de 1 à 33, si le rapport des valeurs dépendait des quantités produites. Enfin, dix ans avant la découverte de la Californie, la production de l’or avait plus que doublé sous l’influence des exploitations de l’Oural et de l’Altaï, et cependant le prix de l’or n’avait pas cessé de tendre à la hausse.

Plusieurs économistes, et entre autres M. Michelsen, ont montré cette anomalie apparente, et se sont bornés, pour la résoudre, à dire que le prix de l’or et de l’argent ne dépend pas de leurs quantités respectives, mais de l’offre et de la demande, de l’état du marché. Cette réponse est vraie, mais elle ne donne pas la raison spéciale de l’anomalie signalée ; il y a une considération d’une nature plus topique qui nous parait résoudre le problème, c’est que les monnaies d’or et d’argent sont solidaires, et qu’à part de petits mouvemens accidentels circonscrits, les métaux précieux haussent ensemble et baissent ensemble.

Nous avons de cette vérité une démonstration saisissante. On accorde généralement que la puissance de la monnaie a baissé de 6 à 1 depuis la découverte de l’Amérique, et cela est vrai de la monnaie d’or comme de la monnaie d’argent, malgré la rareté de la première et l’abondance de la dernière. Ici c’est la baisse de l’argent qui a entraîné la baisse de l’or, comme de nos jours, si la production de l’or vient à déborder la demande, ce sera la baisse de l’or qui entraînera la baisse de l’argent. En effet, quand on considère le mouvement spontané des deux métaux dans le monde entier, on voit que la monnaie agit partout dans sa double forme : l’Angleterre et les États-Unis donnent la préférence à la monnaie d’or ; mais ils se servent secondairement de monnaie d’argent à l’intérieur, et ils achètent et vendent continuellement des masses de lingots d’argent pour payer leurs dettes extérieures. La Hollande et la Belgique, qui ont démonétisé l’or, en empruntent sans cesse au dehors, soit pour leurs usages intérieurs à cause de la supériorité de cette monnaie, soit pour le solde des achats qu’ils font, en Angleterre et aux États-Unis. Il est même probable que si tous les législateurs s’imaginaient de démonétiser l’or, ce métal ne continuerait pas moins à jouer un

  1. Michel Chevalier, De la Monnaie, p. 307.