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ne s’était frayé aucune ouverture ; il était également insensible aux attraits de la lecture, à la séduction des arts, presque à tout plaisir, et il semblait que nulle vive passion ne fit battre ce cœur glacé. De là sans doute l’obstination terrible qu’il montra plus tard. L’homme dont l’intelligence est clairvoyante et étendue peut seul être vraiment maître de lui-même et de ses résolutions ; sa réflexion soutient son énergie ; rien de plus commun au contraire que de voir un esprit étroit par nature ou comprimé par l’éducation se heurter, s’il essaie une fois de prendre un essor, à deux ou trois maximes auxquelles il reste attaché ; parce qu’à son gré elles contiennent la vérité tout entière avec la solution de toutes les difficultés et de toutes les combinaisons que peut offrir la destinée humaine. Dans le sentiment de sa dignité royale, Gustave IV puisa non pas seulement le respect étroit du devoir, mais l’entêtement de cette idée, qu’il était, comme tous les rois, l’élu du Seigneur et supérieur aux autres hommes, grâce son caractère sacré. Le soir même de ses noces, il ordonna à la reine sa femme de lire à haute voix dans la Bible le premier chapitre du livre d’Esther, et lui déclara, avec plus de franchise que de douceur, qu’elle devait se préparer à lui obéir ponctuellement, vu qu’il voulait, comme Assuérus, être maître dans son palais. Il frappa un jour son fils, âgé de huit ans, jusqu’à le renverser le visage en sang, parce que le jeune prince ne s’était pas incliné assez profondément devant le roi. Il parlait d’ordinaire à voix basse, avec solennité, et l’étiquette dont il s’entourait faillit plus d’une fois lui coûter la vie. On comprend qu’un tel prince devait rester étranger aux idées nouvelles que son temps avait vues naître ; il fut particulièrement inaccessible aux principes de la révolution française ; il la traitait de honteuse révolte, et prétendait, si les grandes puissances de l’Europe se montraient inactives ou lâches, prendre en main la cause des Bourbons, seule légitime à son gré, et les rétablir sur le trône où Dieu avait placé leurs ancêtres. Une sorte de religiosité superstitieuse s’empara aussi de bonne heure de son intelligence, qu’elle écarta du droit chemin et finit par plonger dans une folie réelle. Il croyait fermement à la métempsycose, en raisonnait à fond, et déclara un jour qu’il portait en lui l’âme de Charles XII.

Plus que jamais, sous un tel roi, la Suède devait s’entourer d’alliances étrangères qu’elle pût opposer aux intrigues de la Russie, constantes sous Gustave III. Voyons comment Gustave IV s’aliéna au contraire toutes les puissances, et particulièrement la France, son ancienne et sa plus naturelle amie, rendant la minorité du roi, la régence de Suède avait renoué prudemment des relations cordiales avec le gouvernement républicain ; mais Gustave, devenu seul maître du pouvoir, n’eut pas de défense contre les instigations des