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au retour du voyage qu’avait fait Gustave en Russie, pendant l’hiver de 1800 à 1801, que le sentiment de sa royauté était devenu chez lui une passion aveugle, un entêtement de despotisme ; il s’était épris de l’apparente soumission d’une cour esclave dont on lui avait donné le spectacle, et il n’avait pas prévu que, quelques mois après, Paul Ier verrait se transformer en assassins grossiers des courtisans si dociles. Gustave eut certainement la pensée de modeler la Suède sur la Russie ; il se conduisit en despote envers sa famille et son entourage ; il se crut supérieur aux institutions de son pays, institua une censure sévère proscrivant les livres et journaux français, puis les livres danois, puis tous ceux des puissances alliées à la France ; il prétendit imposer même ses caprices et ses visions bizarres à tous ses sujets ; il ordonna qu’on écrivit seulement « M. Neapoleon Buonaparte » le nom du nouveau souverain de la France[1]. Il avait de graves motifs pour prescrire cette orthographe, qui seule reproduisait, suivant ses calculs, le nombre de la bête de l’Apocalypse, 666, Quant aux droits de la nation qu’il était appelé à gouverner, Gustave se rappelait avec défiance quels obstacles les diètes précédentes avaient opposés aux volontés de son père Gustave III, et le coup de pistolet d’Ankarström, sans cesse, présenta son esprit, lui inspirait un éloignement invincible pour la noblesse suédoise. Il observait surtout avec dépit et colère quels progrès avaient faits en Suède les opinions libérales et même les principes républicains. Il n’était pas une maxime de la révolution française, on peut presque dire pas un de ses excès, qui n’eût trouvé en Suède son écho. La jeune noblesse elle-même n’avait pas résisté à cette influence, et plusieurs de ses membres, lors de la diète de Norrkœping, en 1800, s’étaient démis de leurs titres, de leurs fonctions et de leurs privilèges. Les universités avaient adopté les mêmes idées avec une incroyable ardeur. À Upsal, un club secret, appelé la Junte, affichait une démagogie cynique ; on y pérorait, on y chantait des couplets contre le despotisme et pour la liberté, et, ce qui était plus grave encore que toute cette débauche intellectuelle, on y professait ouvertement des doctrines irréligieuses et immorales dont rougiraient aujourd’hui, dit un écrivain suédois, ceux qui s’en faisaient alors les bruyans organes. La seconde université du royaume, celle de Lund, n’était pas restée en arrière, car un de ses clubs avait un soir, à l’unanimité, déclaré aboli le prétendu dogme de l’existence de Dieu. La ville de Stockholm était remplie de ces réunions démagogiques, où le buste de

  1. Napoléon répondit : « L’M qu’il fait mettre en avant de mon nom, je la ferai mettre à la suite du sien. » et l’on prétend (je n’ai pas vérifié le fait), que le Moniteur écrivit un jour : Gustave-Adolphe M., c’est-à-dire Gustave-Adolphe Munck, sanglante allusion aux bruits répandus sur la naissance de Gustave IV.