qu’autrefois. Israël céda douloureusement à la fatalité et se décida à quitter de nouveau ses belles collines, mais cette fois pour les flots bleus de l’Océan, car si un ermitage dans une forêt est la retraite favorite d’un misanthrope à l’esprit étroit, un hamac sur l’Océan est l’asile des cœurs braves et malheureux. L’Océan déborde pour ainsi dire de tragédies et de plaintes, et dans cette immensité de terreur les chagrins particuliers d’un homme se perdent comme une goutte d’eau.
Israël se rendit a pied jusqu’à Providence (Rhode-Island) et s’embarqua à bord d’un sloop chargé de chaux qui parlait pour les Antilles. Dix jours après, le bâtiment prit feu, et il fut impossible d’éteindre les flammes. Les hommes de l’équipage, au nombre de huit, n’eurent que le temps de se jeter dans le bateau, et pendant deux jours errèrent abandonnes au hasard des vagues. Ils furent enfin recueillis par un vaisseau hollandais qui faisait route pour l’Europe et où ils furent humainement traités. Après une semaine, tandis que le naïf Israël s’adressait mentalement mille questions sur la Hollande et se demandait s’il y avait moyen d’y faire la chasse au daim et au castor, un brick américain apparut tout à coup. De nouveau recueilli sur ce bâtiment national, Israël parcourut quelque temps les mers, visita la côte d’Afrique et se fit même un moment baleinier. Dans cette dernière carrière, il put expérimenter par lui-même tous les périls et toutes les privations du baleinier jeté sur des mers éloignées et barbares, périls et privations qui, grâce aux efforts de la science, n’existent plus en grande partie. Puis, fatigué bientôt de l’Océan et soupirant après la terre, Israël reprit le chemin de ses montagnes.
L’espoir de revoir sa fiancée hâta son retour ; mais, hélas ! cet espoir devait être déçu : l’infidèle jeune fille appartenait à un autre. Israël essaya de tromper ses peines par le travail. Le travail des champs guérit l’homme de ses chagrins. Ces tranquilles occupations exigent un esprit tranquille. Là, dans cette bonne mère, la terre, vous pouvez semer et moissonner en toute sécurité, sans craindre de voir votre semence déracinée comme dans les cœurs humains, où, nous jetons follement tant de germes précieux. Mais si le désert, l’Océan et la forêt, si la chasse au daim et la pêche à la baleine n’avaient pas été assez forts pour guérir le pauvre Israël de son amour sans espoir, d’autres événemens se préparaient, assez puissans pour accomplir cette cure délicate.
On était en 1774. Les difficultés longtemps pendantes entre les colonies et l’Angleterre étaient arrivées à une crise décisive. Les hostilités étaient certaines. Des compagnies se formèrent dans toutes les villes de la nouvelle-Angleterre et se tinrent prêtes à marcher.