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au retour de Gustave ; on pensait qu’il consumerait sa vie, comme Charles XII, à courir d’imprudentes aventures. La France, qu’il attaquait, n’avait cessé, malgré ses excès ou ses fautes, d’être admirée, d’être aimée des Suédois ; Napoléon, contre lequel il osait s’élever, était déjà pour eux le vainqueur de l’Europe, aux triomphes duquel ils eussent voulu s’associer et prendre part. À chaque pas dans cette triste histoire des règnes de Gustave IV et de Charles XIII, au moment où ses rois l’entraînent contre nous, à l’heure même où Napoléon, dans l’égarement où le pousse sa rivalité ardente contre l’Angleterre, jette la Finlande à la Russie et se montre tout prêt à la sacrifier elle-même, on verra la Suède manifester encore, en dépit de tous ses malheurs, sa haine pour la domination ou l’alliance de Saint-Pétersbourg et ses sympathies invincibles pour la France. Gustave-Adolphe n’avait donc pas seulement à vaincre la France et Napoléon ; il lui fallait d’abord vaincre ses propres sujets.

Avant même la perte de la Finlande, alors que les Suédois n’eussent pas cru possible de la part d’Alexandre une telle iniquité, la honteuse campagne de Poméranie avait déjà suffi pour éveiller dans l’armée entière un sentiment d’humiliation et de colère. Nous avons raconté par quelle ruse le général Toll avait sauvé la garnison de Stralsund ; nous aurions pu ajouter qu’il n’eut pas de peine à faire répandre le bruit que la couronne et la vie du roi avaient été menacées. De cette époque en effet datent les premiers complots ayant en vue ce double dessein. Quelques officiers songèrent d’abord à se saisir du roi pendant la traversée d’Allemagne en Suède, pour l’envoyer aux Indes. Son fils lui aurait succédé avec une régence. On ne se cacha pas d’un pareil projet au baron Essen, gouverneur général en Poméranie. Quelques jours avant qu’il ne quittât l’armée par suite de la mauvaise humeur du roi, les officiers s’en ouvrirent à lui. Essen les arrêta : « Sans doute, messieurs, leur dit-il, je suis, autant que vous l’êtes, convaincu de la nécessité d’un changement dans l’état ; mais le temps n’est pas encore arrivé, le roi est encore un saint aux yeux du peuple, qui ne connaît pas son insuffisance et son obstination. De plus, il ne convient pas qu’une armée conspire sous les armes. » Un colonel Mörner composa des vers dont voici la traduction, et qu’il laissa dans l’antichambre du roi : « Faites la paix, faites la paix, majesté, et que Bonaparte soit empereur !… N’oubliez pas le proverbe allemand : Il faut vivre et laisser vivre les autres. » Le second couplet, moins innocent, contenait, tout simplement un avis au médecin du roi, Hallman, pour l’engager à délivrer son pays : « Un peu d’une certaine poudre suffirait à l’affaire. » L’impatience était déjà devenue si grande dans l’année de Poméranie, qu’on avait projeté d’embarquer Gustave dans un navire préparé à l’avance, et