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que l’on devait couler avec lui pendant la traversée. Quelques marins étaient d’accord pour faire le coup et se sauver eux-mêmes dans une chaloupe. Gustave échappa, nous l’avons dit, à ces malheurs, grâce sans doute au dévouement et à la résolution du général Toll. Cependant la pensée de son abdication nécessaire était à cette époque si naturelle et si inévitable, qu’on l’avait aussi accueillie à Stockholm. Toutefois, comme il n’était pas certain que la reine acceptât la régence, on voulut encore essayer de fléchir l’esprit de Gustave à son retour. Humilié profondément lui-même d’avoir perdu la Poméranie, il tarda à rentrer dans la capitale. À peine de retour au palais, il eut à subir encore les prières des plus vénérables magistrats et de ses plus dévoués serviteurs, qui le suppliaient de conclure la paix. « Non, leur répondait-il, ne vous figurez pas que je sois le faible Alexandre. — Mais, sire, lui disait-on, la Suède n’est point en état de lutter contre un ennemi qui aura bientôt avec lui l’Europe entière. — Les hommes et l’argent ne nous manquent cependant pas, reprenait-il en colère, c’est la bonne volonté qui manque. » En vain le comte Axel Fersen lui-même, cet ennemi de la France nouvelle, lui adressa-t-il ses supplications pour le fléchir ; en vain essayait-on, en lui soumettant le beau projet du banni Platen pour unir par une seule ligne navigable la Mer du Nord et la Baltique, de détourner vers ces magnifiques travaux son imagination inquiète : rien ne put l’éloigner de la route fatale qui devait aboutir à sa ruine.

Des complots se tramèrent donc à Stockholm aussi bien que dans l’armée de Poméranie pendant cette période qui précède la guerre de Finlande. Un des plus sérieux, pour les conséquences qu’il pouvait entraîner, fut celui que certains esprits dévoués à l’Angleterre et à ses institutions parurent avoir ourdi de concert avec cette puissance. Un certain Brown (l’auteur d’un livre sur les Cours du Nord) vint à Stockholm, sans doute poursuivre cette négociation. La couronne devait rester dans la famille de Gustave IV, en passant sur la tête de son oncle, le duc de Sudermanie, celui qui fut plus tard Charles XIII. Le duc étant déjà vieux et sans postérité, on lui désignerait pour successeur, non pas le fils de Gustave, mais le duc de Glocester, le plus jeune frère de George III, qui avait passé à Stockholm tout l’hiver de 1802 à 1803. Cette intrigue paraît avoir duré jusqu’à la fin de 1808. Le ministère anglais déclina formellement à cette époque toute intervention dans les affaires de la succession suédoise, et Canning écrivit au ministre de Suède à Londres : » Le roi votre maître est de toutes parts menacé par des projets de révolution. » Gustave fit répondre à la dépêche par laquelle on lui donnait cet avis qu’il n’y voulait pas croire ; il se confiait dans la fidélité des Suédois et la regardait comme inviolable.