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en invoquant à tort le souvenir des Gracques ont achevé d’égarer la postérité. Les Gracques ne songèrent jamais à une division nouvelle de la propriété : ils ne voulaient dépouiller personne d’un droit justement acquis ; tout ce qu’ils demandaient, c’était une répartition moins inégale des terres publiques usurpées par les patriciens sur la loi. Les patriciens ne leur pardonnèrent pas une tentative à leurs yeux si criminelle et les assassinèrent l’un après l’autre. Ce n’est pas pour nous une raison de les flétrir comme des séditieux et des ennemis de toute société.

Les Gracques commirent un crime encore plus grand : ils eurent le sentiment italien. Les premiers ils osèrent proclamer d’autres droits que ceux de l’égoïste cité romaine. Ce n’est pas non plus une raison de les maudire aujourd’hui, même à Rome. Mais où trouver des vestiges de leur mémoire ? Aucun monument ne la rappelle. Leur père avait bâti un temple à la liberté, eux ne songèrent qu’à reconstruire la liberté elle-même. Ils ne purent, malgré leurs efforts, réparer cet édifice qui s’écroulait ; ils n’en ont pas élevé d’autre. Je n’ai point rencontré leurs statues ou leurs bustes. Leurs nobles familles rougirent probablement de ces patriciens qui avaient aimé le peuple, et le peuple, avec son ingratitude ordinaire, n’a pas conservé leurs images.

Mais du moins on connaît les détails de leur mort ; on peut les suivre pour ainsi dire à la trace dans leurs dernières luttes contre les adversaires qu’ils accusaient de spolier les plébéiens, et qui leur répondirent en les égorgeant.

De leur généreux sang à trace nous conduit.

Tiberius Gracchus périt là où est maintenant la place du Capitole, et où était alors une place d’où l’on montait, par un escalier au temple de Jupiter Capitolin, à peu près à l’endroit où se trouve aujourd’hui celui qui conduit à la porte latérale de l’église d’Ara-Cœli, située sur l’emplacement de ce temple.

P. Scipion Nasica, dur patricien de la vieille roche, bien que parent des Gracques, enveloppa sa main gauche dans un pan de sa toge, ce qui était un signe de guerre déclarée, et s’élança sur les degrés du temple de Jupiter en criant : « Que ceux qui veulent sauver la république me suivent ! » Alors les patriciens, les sénateurs, une partie des chevaliers et même un certain nombre de plébéiens se précipitèrent vers Gracchus, qui était sur la place avec son monde, « appelant à lui, dit Velleius Paterculus, toute l’Italie. » C’était surtout ce cri qu’on ne lui pardonnait pas. Bientôt il fut forcé de fuir, et comme il descendait la pente du Capitole, il mourut atteint