craintes augmentèrent encore, lorsqu’il entendit le baronnet appeler un domestique. Il était sur le point de s’enfuir à toutes jambes. Heureusement ses craintes furent apaisées par ces mots du baronnet au domestique qui s’avançait : — Apportez du vin.
— Mon pauvre garçon, dit sir John en remplissant un verre de vin et en le présentant à Israël, je m’aperçois que vous êtes un Américain et, si je ne me trompe, un prisonnier de guerre fugitif ; mais n’ayez point peur, buvez.
— Monsieur Millet, dit Israël en pleurant, monsieur Millet, je…
— Voilà encore monsieur Millet. Pourquoi ne dites-vous pas sir John, comme tout le monde ?
— Je vous demande pardon, monsieur, je ne puis pas ; j’ai essayé, et cela m’est impossible. Vous ne me trahirez pas pour cela ?
— Vous trahir !… pauvre garçon. Écoutez, votre histoire est sans doute un secret que vous ne désirez pas divulguer à un étranger ; mais, quoi qu’il vous arrive, je m’engage à ne jamais vous trahir.
— Dieu vous bénisse pour cela, monsieur Millet !
— Appelez-moi donc de mon vrai nom ; je ne m’appelle pas M. Millet. Vous m’avez déjà dit sir ; vous avez dit John bien souvent à d’autres. Ne pouvez-vous donc pas accoupler les deux mots ? Voyons, essayez : sir d’abord et John ensuite ; sir John, voilà tout.
— John, — je ne puis pas, — pardon, monsieur, pardon ! — je ne puis pas m’habituer à cela.
— Mon bon ami, dit le baronnet en regardant fixement Israël, est-ce que tous vos concitoyens vous ressemblent ? Dans ce cas, il est inutile de les combattre. J’écrirai moi-même à sa majesté à ce sujet. Bien, je vous dispense de me donner mon titre ; mais, dites-moi la vérité, n’êtes-vous pas prisonnier de guerre ?
Israël raconta franchement toute son histoire. Le baronnet l’écouta avec intérêt et lui recommanda de prendre garde aux soldats, les habits rouges affluant dans les environs, à cause du voisinage de diverses résidences appartenant à des membres de la famille royale. — Maintenant, lui dit-il en terminant, venez avec moi à la maison ; puisque vous me dites que vous avez fait déjà un échange d’habits, vous en ferez bien un second avec moi. Qu’en dites-vous ? Je vous propose un habit et des culottes en échange de vos haillons.
Bien nourri, bien choyé, rassuré par la bienveillance du baronnet, Israël prit un tel embonpoint qu’au bout de deux ou trois semaines il remplissait entièrement les vieilles culottes de sir John, qui d’abord étaient trop larges pour lui. On lui donna des occupations qui le dispensèrent de la dangereuse fréquentation des autres travailleurs. Six mois se passèrent ainsi, et au bout de ce temps sir John fit donner à Israël une bonne place dans le jardin de la princesse Amélie.