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— Bien, bien, dit le roi avec un sourire de satisfaction. Je vous vaincrai, je vous vaincrai.

— Ce n’est pas le roi, mais la bonté du roi qui m’a vaincu, s’il plaît à votre majesté.

— Entrez dans mon armée, dans mon armée.

Israël baissa tristement les yeux et secoua silencieusement la tête.

— Vous ne voulez pas ? eh bien ! sablez l’allée, sablez, sablez. Une race très obstinée, — très obstinée en vérité. — Et le roi s’éloigna.

On peut voir par cette anecdote quelle magie merveilleuse et étrange possède une couronne, et avec quelle subtilité cette magnanimité facile aux rois peut agir sur des âmes bonnes et infortunées. Si le patriotisme de l’Américain n’avait pas été aussi désintéressé, s’il y fût entré un grain d’ambition ou d’égoïsme, Israël aurait porté l’habit rouge, et peut-être, grâce au patronage du roi, aurait avancé rapidement dans l’armée anglaise. Dans ce cas, nous n’aurions pas eu à le suivre, comme nous le faisons, à travers de longues années d’obscurité, de misère et de vagabondage.


II

La saison vint où les travaux du jardinage exigèrent un moins grand nombre d’employés ; Israël fut congédié et s’engagea chez un fermier du voisinage. Il y était à peine depuis une semaine, que le bruit qu’il était un rebelle, un déserteur ou un espion, circula sourdement de nouveau. Les soldats se remirent à sa recherche, les maisons où il se cachait furent souvent visitées ; mais grâce à l’honnêteté de ses hôtes et à sa propre vigilance, le renard traqué parvint à échapper. Cependant ces poursuites incessantes l’avaient tellement lassé, qu’il était prêt à se rendre, lorsque la Providence sembla vouloir s’interposer entre lui et ses ennemis. — Une nuit, pendant qu’il était couché dans le grenier d’une ferme, Israël vit un homme s’approcher de lui, une lanterne à la main. Il allait fuir lorsqu’une voix bien connue, celle du fermier lui-même, le rassura. Le fermier était venu transmettre à Israël le message d’un gentilhomme qui le priait de se rendre à sa demeure dans la soirée du lendemain. D’abord Israël pensa que le fermier le trahissait, ou qu’on avait surpris sa bonne foi ; mais le nom du gentilhomme qui le mandait le tira bientôt d’inquiétude : c’était un certain squire Woodcock, de Brentford, dont la fidélité au roi avait déjà été soupçonnée. Le lendemain, à la tombée de la nuit, Israël se rendit à la demeure du squire, qui ouvrit la porte lui-même et le conduisit sur le derrière de la maison, dans un appartement retiré où se trouvaient déjà, deux autres gentilshommes vêtus selon la mode du temps, en longs habits brodés et en souliers à boucles.