votre monnaie ; c’est en argent français et non anglais que vous devez le payer. Bien ; ces trois petites pièces suffiront.
— Puis-je m’arrêter pour prendre quelque chose en chemin, docteur ?
— Non ; c’est toujours une mauvaise affaire de dîner dehors lorsqu’on peut dîner chez soi. Revenez immédiatement, et vous dînerez avec moi.
Israël revint quelque temps après et s’assit à la table du docteur. Le repas fut frugal. Il se composait d’agneau bouilli accompagné de petits pois. Une bouteille remplie d’un breuvage incolore était placée à côté du vénérable ambassadeur.
— Laissez-moi remplir votre verre, dit le docteur.
— Dieu me pardonne ! c’est de l’eau claire, dit Israël en goûtant.
— L’eau pure est un bon breuvage pour des hommes simples.
— Oui ; mais le squire Woodcock m’a donné à boire du poiré, et le gentilhomme de White-Whaltam m’a offert du vin et de l’eau-de-vie.
— Très bien, mon honnête ami ; mais si vous aimez le poiré, le vin et l’eau-de-vie, vous attendrez pour en boire que vous soyez retourné en Angleterre. Avec moi, vous ne boirez que de l’eau claire.
C’est ainsi qu’Israël passa le temps de son séjour à Paris. Grâce à la compagnie du docteur Franklin, Israël se trouva au milieu de cette ville plus surveillé que ne le fut jamais le bon Sancho Pança dans son île de Barataria. En vain l’hôtesse chargea-t-elle la table de toilette d’Israël de savons parfumés, d’essences et d’eaux de Cologne, délices inconnues à notre héros : le docteur Franklin apposait son véto sur ces objets convoités et les faisait disparaître comme par enchantement. Il prémunissait même le rustique Américain contre les artifices de la fille de chambre. Chacun de ses pas était surveillé, et chacune de ses actions accompagnée d’une sentence morale. Le pauvre Israël dut mener, quelquefois en rechignant, la vie du bonhomme Richard.
Un soir, comme il conversait avec le docteur Franklin, la fille de chambre entra et annonça qu’un gentilhomme très impertinent désirait parler au docteur Franklin.
— Très impertinent ! dit le sage en regardant fixement la fille de chambre ; cela veut dire sans doute un très beau gentilhomme qui vous a gratifié de quelque compliment énergique. Laissez-le entrer.
Quelques instans après entra dans la chambre un petit homme agile, nerveux et bruni par le soleil, tout semblable à un chef indien dépouillé de son royaume et revêtu d’habits européens. Une invincible audace brillait dans son œil sauvage. Son costume était d’une extravagante élégance, et il le portait à demi comme un barbare, à