Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Tacite, Miltiade et les Scipion, Alexandre et César. À plus forte raison, le moyen âge n’est pas un : il se divise en cinq groupes principaux, l’Italie, l’Espagne, la France, l’Angleterre et l’Allemagne ; mais ces groupes, étant joints par une tradition commune reçue de l’antiquité, par une religion commune dont le chef unique siégeait à Rome, par des institutions communes dont la féodalité était la base, représentaient un corps politique qui avait plus de puissance et plus de cohésion que l’empire romain, et qui en était la continuation directe. Donc l’antiquité gréco-latine a pour terme corrélatif dans le moyen âge l’ensemble des cinq populations, héritières par indivis de l’héritage de civilisation.

Pourquoi le théâtre, dans son expression la plus haute, tragédie et comédie, a-t-il fait défaut au moyen âge ? Je crois en trouver une des causes dans l’état de la société. Divisée en seigneurs féodaux, bourgeois des communes et gens de la campagne, elle ne présentait nulle part un public approprié à ce genre de littérature et de plaisir. Les seigneurs vivaient dispersés dans leurs châteaux ; ils ne se réunissaient que pour les tournois, fêtes guerrières et lucratives (car les vaincus payaient des rançons, et les vainqueurs gagnaient des chevaux et des armes) qui les captivaient tellement, que les défenses des rois et des papes purent à peine mettre des bornes à ces luttes simulées, mais si souvent dangereuses. C’était alors aussi que ces assemblées représentaient les scènes de la Table-Ronde mises dans toutes les mémoires par une foule de poèmes, et que dames ou chevaliers prenaient le nom, le costume et le rôle de Tristan, d’Arthur et de la belle Yseult. Dans cet état, ce qui plaisait aux seigneurs et aux nobles dames, c’était la poésie qui venait les chercher dans leurs demeures féodales. Le jongleur arrivait chantant la geste de Roncevaux, les aventures de Guillaume au Court-Nez, les exploits d’Ogier le Danois ; puis, quand il avait amusé ceux qui l’écoutaient, il en recevait des cadeaux, de riches vêtemens, des fourrures précieuses. Ou bien les chevaliers devenaient, pour leur compte, trouvères ou troubadours, suivant qu’on était sur la rive droite ou sur la rive gauche de la Loire, et ils composaient non pas des chansons de geste, mais des chants d’amour et de guerre. Je ne sais pourquoi l’on a fait dans ces temps à la noblesse française un renom d’ignorance profonde, l’accusant d’être tout à fait illettrée : je crois qu’on a pris l’exception pour la règle. Aux XIIe et XIIIe siècles, on trouve parmi les poètes les plus célèbres beaucoup de noms appartenant aux princes et aux barons : le roi Richard, le châtelain de Couci, Quesnes de Béthune, le comte de Champagne, la dame de Fayel, et bien d’autres, ont chanté leurs amours, déploré les traverses qu’essuient les fidèles amans, et gémi que la croisade, dette de foi et