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Il y a même, en un texte habilement restauré, une vertu particulière qui aide à l’épurer davantage. La restauration fait voir immédiatement des analogies qui étaient cachées sous quelque faute, des comparaisons qui ne pouvaient se faire, puisque quelqu’un des termes avait disparu, des règles qui ne semblaient pas assez sûres parce que des exceptions fautives les compromettaient. De tout cela je parle par expérience. Moi aussi j’ai passé bien du temps à collationner des manuscrits, à rassembler des variantes, à les discuter, à en tirer le meilleur parti pour rendre à un vieux texte sa correction et sa pureté ; Quelque minutieux que puisse sembler un pareil travail, je n’ai point trop à m’en plaindre. Il est bon qu’un esprit facilement enclin à la recherche des généralités soit contraint de s’appesantir sur des détails, très petits, mais très positifs. De même je conseillerais volontiers à des esprits qu’entraîne le goût des détails et des choses spéciales de prendre comme contrepoids quelques momens pour philosopher.

Il est vrai qu’il s’agissait pour moi d’un texte grec et d’un auteur vieux de plus de vingt-deux siècles ; mais, malgré ces prérogatives, je prétends qu’il ne faut pas traiter autrement les monumens qui proviennent de notre moyen âge français, et qu’on doit faire partout ce qu’a fait M. Génin pour son Patelin, s’efforcer de remédier aux erreurs des copistes et aux imperfections des copies. Une fausse opinion, assez naturelle du reste, prévalut longtemps à l’endroit de ces écrits. Le temps qui les avait vus naître était réputé barbare ; quoi de plus simple alors que de considérer comme des barbarismes tout ce qui différait de la langue moderne ? Il était manifeste que ce français ancien provenait d’une corruption du latin ; pourquoi dès lors chercher des règles en ce patois corrompu ? Le français avait notablement changé dans les derniers siècles, et en même temps s’étaient produits des écrivains qui l’avaient illustré, des grammairiens qui l’avaient régularisé : comment aurait-on songé à ôter une rouille qui semblait non quelque chose d’accidentel, mais quelque chose d’inhérent ? Pourtant tout cela était illusion. Les barbarismes ne peuvent pas être à l’origine de la langue, puisque c’est à cette origine qu’elle a ses principes. Le français est né de la corruption par rapport au latin : mais, par rapport à lui-même, c’est une décomposition qui a ses lois régulières et qui n’est rien moins que barbare. Enfin de fait il y a sur ces vieux monumens une rouilla due à l’ignorance des copistes. À l’absence de règles écrites, à la diversité des provinces. Pénétrez dans l’intérieur de ces livres, comparez-les, cherchez les règles implicites, et bientôt vous reconnaîtrez qu’une critique judicieuse peut, sans arbitraire et sans innovation, y établir une correction relative qui ajoutera beaucoup à la clarté du livre, à la satisfaction