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latin, comme celui des cas, ne pouvait durer si les circonstances cessaient d’être favorables aux lettres, à la transmission des études, et si le trouble public laissait prévaloir les affinités générales de la nouvelle langue.

Ces affinités prévalurent en effet, grâce à la perturbation séculaire qu’infligèrent à la France la guerre étrangère, la guerre civile, les ravages des grandes compagnies, les soulèvemens des communes, les insurrections des paysans. C’est dans le XVe siècle que ce grand changement se marque décidément, mais c’est là aussi qu’on trouve souvent en conflit les formes nouvelles avec les formes anciennes. Ainsi la règle des adjectifs, dont je viens de parler, tantôt est observée, et tantôt fait place à la règle moderne qui les traite tous de la même façon. On trouve :

Telz noises n’ay-je point aprins (Patelin, v. 559).
Mais vous trouverez bien tel clause (v. 1119).
À la foire, gentil marchande (v. 65).
Qu’oncques mais ne senty ici rage (v. 1258).
Malade ? et de quel maladie (v. 1526) ?

Ici la règle ancienne détermine l’accord ; mais vous rencontrez :

Et ne sçavez-vous revenir
À vostre propos, sans tenir
La court de telle baverie (v. 1283) ?


et :

Monseigneur, par quelle malice (v. 1310)…


Ici, c’est la règle moderne qui prévaut. Toutefois on peut reconnaître qu’à ce moment du moins, chez l’auteur du Patelin, l’habitude de ne donner qu’un genre aux adjectifs était la plus puissante ; mais on reconnaît aussi que l’habitude nouvelle, effaçant une exception apparente, ou plutôt une règle dont le sens était perdu, allait bientôt l’emporter, surtout dans un temps où l’on comprenait et lisait de moins en moins les textes qui auraient pu la conserver.

Deux personnages, en affirmant quelque chose, disent, l’un : par m’ame ; l’autre, bon gré m’ame. Nous dirions aujourd’hui : par mon âme, bon gré mon âme. Ce sont des espèces de sermens qui ont sans doute conservé la forme antique, car on lit ailleurs dans le Patelin, vers 1280 :

Je l’ay nourry en son enfance.


C’est ainsi que nous parlerions. Seulement cela aurait été un cruel solécisme pour les XIIe et XIIIe siècles, qui auraient dit : en s’enfance. En effet, les pronoms possessifs féminins ma, ta, sa, s’élidaient devant une voyelle de la même manière que nous élidons l’article, et l’on écrivait et prononçait m’ame, s’espée, s’enfance. Il est manifeste,