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Por Deu, sire chevalier,
Quis avez la bée ;
Moult vous doit-on peu prisier,
Quant, sans prendre un douz baisier,
Vous sui eschapée.


Vous avez quis la bée, — vous avez cherché la bée ; — plus tard on a dit : vous avez payé la bée. La bée, c’est donc l’attente, l’attrape. Dans les Cent Nouvelles nouvelles, un gentilhomme engagé dans une partie de chasse retient ses compagnons dans la campagne après la fermeture des portes, leur promettant l’hospitalité dans un château du voisinage. Ils vont, et, au lieu de l’excellent accueil auquel ils s’attendaient, la dame du logis leur fait impitoyablement fermer la porte au nez. L’auteur de la déconvenue s’excuse en ces termes : « Messeigneurs, pardonnez-moi que je vous aie fait payer la bée. » Ils ont bayé à la porte, qui est restée fermée, et la locution dit « qu’ils ont payé la bée, » comme nous dirions « qu’ils ont croqué la bée, » si nous ne disions pas vulgairement croquer le marmot.

La faveur dont le Patelin a joui tout d’abord est-elle uniquement due à la jovialité de cette farce, ou bien faut-il faire entrer en ligne de compte un certain mérite de style et un certain talent d’écrivain ? Il est impossible de ne pas répondre affirmativement sur ce dernier point. La lecture montre partout un homme habile à manier sa langue avec correction et avec élégance. En un mot, l’auteur du Patelin sait écrire. Cela impose d’autant plus à l’éditeur le soin d’effacer la rouille que le temps et les éditeurs négligera et mal informés ont laissé s’étendre sur cette œuvre. À cet effet, le Patelin ne pouvait mieux rencontrer que M. Génin : un goût exercé de long temps à savourer les délicatesses de la vieille langue, un esprit qui a toute sorte d’affinités pour le vieil esprit gaulois, une érudition étendue, quelquefois téméraire, mais presque toujours ingénieuse et sachant toujours rendre attrayant ce dont elle parle. Aussi, quand M. Génin dit en terminant sa préface : « Patelin, tout recommandé qu’il était par son antique renommée, attendait encore un éditeur qui fît de lui l’objet d’un travail sérieux ; puisse-t-il l’avoir enfin rencontré ! » j’ajouterai, sans craindre d’être démenti par celui qui lira l’introduction, le texte et les notes, que le Patelin a enfin trouvé un éditeur digne de lui. Mais ce serait vraiment faire tort à Patelin et à son éditeur, si le critique qui s’est complu à tous les deux ne s’essayait pas aussi sur quelques passages qui restent ou lui paraissent rester sujets à étude et à correction.

J’ai examiné dans Patelin tous les verbes qui se trouvent à la première personne du singulier de l’imparfait et du conditionnel que nous écrivons par ais, qu’au XVIIe siècle on écrivait par ois, et que