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d’ajouter à la liste de leurs qualités une vertu nouvelle qui rendait compte du fait observé. L’habitude en était tellement prise, que l’existence des fluides semblait un fait démontré, et qu’on n’hésitait pas à en inventer de nouveaux à mesure que le besoin s’en présentait. La chaleur était donc un fluide, elle pouvait être lancée par certains corps échauffés dont elle s’éloignait en émanations divergentes, et d’où elle tombait comme une pluie de projectiles extrêmement petits sur les corps opposés. À cet état elle était rayonnante, mais quand elle venait à s’accumuler dans une substance interposée sur son passage, elle devenait statique et occasionnait réchauffement. Rien n’était simple comme cette explication, mais rien n’était vague comme elle, et l’on doit convenir qu’elle résultait du même procédé d’imagination que celui dont les anciens faisaient usage en attribuant la réflexion du son aux plaintes de la nymphe Écho et la foudre aux carreaux de Jupiter.

On fit un grand progrès philosophique quand on s’aperçut que des hypothèses n’étaient pas des explications, que les fluides étaient des mots, que l’intervention de ces principes imaginaires n’avait d’autre effet que de dissimuler l’ignorance où l’on était des causes réelles. L’étude de la lumière à un point de vue plus rationnel fit justice du fluide de Newton : on démontra que la lumière était un mouvement vibratoire de l’éther, et cette théorie s’étendit à la chaleur rayonnante ; mais après cette explication si rationnelle et tout à fait mathématique du rayonnement, on dut chercher la cause de la chaleur statique. Vraisemblablement elle est elle-même une manifestation de mouvemens intestins dans les molécules des corps échauffés. Ces substances, quand elles rayonnent la chaleur, sont dans des conditions de mouvement analogues à celles des instrumens sonores au moment où ils émettent le son. Soutenue par Ampère, cette explication a été développée par lui dans des calculs ingénieux, et confirmée par des travaux récens. Nous la mentionnons pourtant sans la développer, parce qu’elle est encore vague et que nos connaissances sur ce point sont loin d’être complétées. Un tel aveu ne coûte pas dans les sciences d’observation ; reconnaître que l’on ne sait pas vaut mieux qu’inventer une explication : c’est promettre d’apprendre, et le meilleur des procédés pour arriver à la découverte d’une cause inconnue, c’est d’en étudier et d’en mesurer les effets. Dulong et Petit n’ont jamais essayé de traiter cette question de la nature de la chaleur. Ils étaient trop sérieux pour se payer d’explications vagues, et trop clairvoyans pour ne pas reconnaître que le moment d’une généralisation n’était pas arrivé. Ils se condamnèrent à l’étude des phénomènes de la chaleur sans en rechercher la cause, tâche moins brillante peut-être, mais plus utile sans doute. Ils commencèrent par la dilatation.