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soit de chimie théorique, soit de physiologie ; enfin je termine mon travail par la littérature et les langues latine et grecque alternativement. Je me suis imposé pour première loi d’aller toujours du meilleur au plus mauvais, par la raison que le goût est la chose essentielle pour moi. Aussi ai-je commencé par voir Racine, Corneille, Boileau, et je n’en ai point vu d’autres. Je me suis imposé la même loi pour le théâtre. Comme j’en faisais un objet d’instruction plutôt que d’amusement, je n’allais voir que des pièces de Corneille ou de Racine, et lorsque je les avais lues ou méditées auparavant… J’ai aussi cherché à me former le goût dans la composition de la musique, en fréquentant les meilleures sources que je connaisse, l’opéra italien. Ajoute à cela que je m’occupe de botanique, d’histoire naturelle, et que je consacre deux jours par semaine à la pratique de la chimie, et tu auras une idée complète de la manière dont j’emploie mon temps. »

Cependant si la médecine, au point de vue de la science générale, conservait toujours pour Dulong le charme qui l’avait attiré, le côté de la pratique perdait tous les jours les attraits qu’il s’y était promis. Dulong avait l’âme sensible, et les douleurs qu’il voulait guérir lui inspiraient de la tristesse. Une circonstance bien pénible augmenta ses doutes. Mme Faurax, à laquelle il avait rendu pour les soins qu’elle lui avait donnés toute l’affection d’un fils, tomba malade à Auxerre, et quand il alla lui porter ses secours, il apprit que la médecine peut être réduite à l’impuissance, même quand elle est soutenue par l’affection, et qu’elle devient quelquefois criminelle quand elle est faite comme un métier par des hommes ignorans. Celui qu’il trouva près de sa tante parait avoir été du nombre. Il fut pris d’un insurmontable dégoût, et envisagea l’avenir sous le plus triste aspect ; « car tel est, dit-il, un de mes plus grands défauts, que je tire plus de conséquences pour l’avenir d’une circonstance fâcheuse où je me suis trouvé que de celle que m’offrirait une perspective agréable. » A partir de ce moment, les autres sciences prirent dans ses occupations la place que perdait la médecine. On le surprenait quelquefois à plaisanter au sujet de ceux qui l’exercent avec le plus de distinction. Il était allé consulter Chaussier à l’occasion de maux d’estomac qu’il éprouvait, afin d’apprendre « comment on s’en tire quand on n’a rien à dire. » Tout en cessant de voir dans cette profession le but de ses études, il continuait de la pratiquer pour le bien qu’elle peut faire. Il avait pour clientèle des jeunes gens ses camarades, qu’il visitait gravement, ponctuellement, sans en rien recevoir que leur amitié et presque leur respect ; il donnait surtout ses soins aux ouvriers nécessiteux du quartier Saint-Victor, qu’il habitait. Il se fit parmi eux une réputation qui s’étendit rapidement, et il la devait encore plus aux secours qu’il