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distribuait qu’au talent de guérir dont il faisait preuve. Ses amis remarquaient que ses ressources diminuaient à mesure que ses cliens augmentaient ; celle remarque est un éloge délicat qui méritait d’être recueilli.

Les succès qu’il obtenait dans l’étude et la pratique de la chimie valurent enfin à Dulong la protection de Berthollet et lui ouvrirent le laboratoire d’Arcueil ; dès lors sa carrière fut fixée. Il avait tant de conscience dans l’accomplissement de ses moindres devoirs, tant d’égalité dans son humeur, de régularité dans ses mœurs et dans toute sa personne, un si heureux mélange de modestie et de dignité, qu’il acquit aisément la bienveillance et même l’amitié des savans illustres qui composaient alors la société d’Arcueil, où il se fit bientôt une place par sa persévérance au travail et l’immense étendue de ses connaissances. Il pouvait en effet raisonner à la fois sur la botanique, les mathématiques, la physique et l’astronomie avec les Decandolle, les Laplace, les Biot, les Arago. Bientôt, tirant parti des ressources que lui offrait le laboratoire, il publia sur la décomposition des sels un mémoire qui le mit en lumière, et il fut nommé répétiteur à l’École normale, sous la direction de M. Thénard, dont il prépara les leçons.

En 1811, Dulong dut à une découverte importante une célébrité qu’il allait payer cher ; il fit arriver du chlore au milieu d’une dissolution de sel ammoniac et vit se former une substance huileuse qu’il recueillit. En consultant les affinités des corps mis en présence dans cette réaction, il crut pouvoir établir que le nouveau composé était une combinaison de chlore et d’azote, et il en étudia les propriétés. La plus remarquable de toutes, c’est que les élémens qui le composent ne sont associés que d’une manière très fugitive, et qu’ils se séparent sous des influences diverses avec une telle rapidité, qu’ils brisent les vases avec une détonation terrible et en projetant les éclats avec autant d’énergie que la poudre quand elle s’enflamme. Si on note que la moindre augmentation de température, le plus léger frottement suffisent pour déterminer cette action, que même elle se peut produire spontanément, on comprendra quelle dangereuse acquisition Dulong avait faite, et combien de périls il avait amassés sur lui. Une première explosion le blessa gravement sans le guérir de sa curiosité : il ne voulait abandonner le sujet qu’après avoir au moins établi par des expériences irrécusables la composition encore problématique du chlorure d’azote, et il disposa des appareils pour en faire l’analyse. Comme toutes les personnes exposées souvent à des dangers, les chimistes arrivent à les mépriser, et, par une imprudence sans excuse, négligent trop fréquemment les précautions qui les mettraient en sûreté. Dulong n’avait ni prévu ni redouté