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plir des obligations qui à leurs yeux n’ont point cessé d’avoir toute leur force. Elles attendront qu’une meilleure inspiration relève à sa juste hauteur la politique du cabinet de Vienne. Qu’on observe cependant quelle est la situation singulière où s’est placée l’Autriche. Adversaire de la Russie, elle lui prête le secours de son immobilité. Alliée de l’Angleterre et de la France, elle décline toute solidarité avec elles dès qu’il faut agir. Puissance européenne intéressée au premier rang dans une des plus grandes luttes publiques, elle apporte ce contingent redoutable, — une proposition ! Elle jette une subtilité nouvelle dans le monde des subtilités diplomatiques. À quelque point de vue qu’où observe aujourd’hui la politique du cabinet de Vienne, on ne peut y voir que le symptôme d’une secrète faiblesse qui contraste avec cette attitude de fermeté dont il ne s’était pas départi jusqu’au dernier moment des négociations.

Ce n’est pas que nous méconnaissions la part qui peut revenir encore à l’Autriche. En Angleterre comme en France, on ne cesse point sans doute d’attacher un grand prix à sa coopération, fut-elle simplement morale. Cela résulte surtout des derniers discours qui ont été prononcés dans le parlement anglais, d’abord par lord Clarendon et plus récemment par lord John Russell. Les dernières propositions autrichiennes ont eu même pour conséquence de soumettre l’existence du ministère anglais à une épreuve nouvelle dont l’issue est encore incertaine, et qui est née des explications de lord John Russell sur le rôle qu’il a joué à Vienne. C’est une étrange destinée politique, il faut le dire, que celle de lord John Russell depuis quelque temps. Il semble qu’il soit l’homme indispensable de toutes les combinaisons, et partout où il paraît, il devient tout au moins un élément de dissolution. C’est lui, on s’en souvient, qui avait amené la décomposition du cabinet de lord Aberdeen, et il ne serait point impossible que le cabinet de lord Palmerston ne finît par une semblable aventure. Lord John Russell était revenu de Vienne, à ce qu’il paraît, dans des dispositions assez favorables à la proposition d’arrangement émanée de l’Autriche. Il avait promis de la soutenir, et il l’a soutenue en effet. Cette proposition n’a point été accueillie pourtant par le cabinet de Londres, comme on le sait. L’ancien plénipotentiaire de Vienne a dû se rendre à la décision du gouvernement dont il fait partie ; mais, à vrai dire, il a conservé son opinion et ne paraît point éloigné de croire qu’il y avait dans le projet autrichien tous les élémens d’une pacification convenable. Seulement il s’élève ici une question. Si lord John Russell a gardé cette conviction, comment est-il resté dans le cabinet ? C’est ce qu’il a expliqué au sein du parlement. Il ne s’est point retiré par un sentiment patriotique, pour ne point ajouter à l’instabilité ministérielle dans un moment où le pouvoir lui-même en Angleterre est en butte à des hostilités menaçantes. Lord John Russell a obéi à un mobile élevé sans contredit ; mais dès qu’il restait dans le cabinet, il est difficile de comprendre comment il s’est cru obligé de publier les divisions intérieures du gouvernement sur le point le plus grave de la politique. Il s’ensuit qu’après avoir voulu, par patriotisme, éviter une crise ministérielle, il peut en provoquer une nouvelle en divulguant ses dissentimens. L’opposition n’a point manqué en effet de s’emparer des aveux de lord John Russell, et M. Bulwer a déposé une motion