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recourir à un emprunt bien plus considérable : il demandait aux cortès l’autorisation d’émettre pour 2 milliards de titres, afin d’avoir à 500 millions effectifs. On avait eu de la peine à négocier le premier emprunt, il est aisé de présumer quelles facilités devait rencontrer la négociation du second. M. Madoz était alors ministre des finances, et comme les paroles ne suffisaient point pour trouver de l’argent, il se tirait d’embarras en déclarant périodiquement que ses ennemis conspiraient contre lui, parce qu’il était progressiste. M. Madoz a vécu ainsi pendant quelques mois, en se proclamant et en se faisant proclamer le sauveur des finances espagnoles. Le grand moyen de salut devait être la loi de désamortissement. Le fait est que cette loi a été jusqu’ici une difficulté encore plus qu’une ressource, ce que voyant, M. Madoz a saisi le premier prétexte pour se retirer du ministère, et il est en ce moment, dit-on, en Navarre.

Le nouveau ministre des finances, M. Bruil, s’est trouvé tout de suite en présence d’une dette flottante de plus de 600 millions de réaux, et d’un déficit pour l’année de 200 millions. Comme M. Bruil ne paraît pas avoir l’imaginative de M. Madoz, il a tout simplement proposé un plan de finances qui repose sur l’établissement de quelques impôts. Vous croyez peut-être que les cortès, qui ont créé le déficit par l’abolition de l’impôt de consumos, sont venues en aide au gouvernement. La commission du budget a commencé par repousser le plan qui lui était présenté sans rien proposer à son tour. Les besoins pressaient cependant, et le général O’Donnell est venu déclarer que si on ne prenait pas un moyen quelconque, l’armée était sans solde, tous les employés de l’état allaient être sans ressources Alors les cortès se sont émues et ont voté un emprunt national, qui sera volontaire dans les trente premiers jours, et forcé ensuite. Ce n’est rien autre chose qu’un expédient pour remplir pendant quelque temps les caisses de l’état ; mais on n’a point le choix aujourd’hui.

Dans quel moment, en effet, l’Espagne se trouve-t-elle réduite à ces extrémités financières ? Sur tous les points règne une vague fermentation. L’insurrection est mal apaisée en Aragon, et une bande carliste vient de se montrer en Catalogne sous les ordres d’un chef assez connu, Marsal. Ce n’est pas là au surplus le seul danger qu’il y ait aujourd’hui en Catalogne ; le plus grand péril est dans cette sorte d’insurrection ouvrière qui s’est manifestée tout d’abord par les plus odieux attentats contre des fabricans. L’un de ceux-ci, M. Sol y Padris, ancien député, a été assassiné à Sanz, près de Barcelone, au moment où on venait de le forcer à signer un nouveau tarif pour les salaires. Un autre a été également frappé de plusieurs coups de poignard à Igualada, et sa femme a eu le même sort. À Barcelone, les ouvriers se sont à peu près emparés de la ville, où ils ont arboré un drapeau rouge sur lequel ils avaient inscrit ces mots : l’association ou la mort ! À côté se trouvait cet autre mot : vive Espartero ! Deux choses rendent en ce moment cette agitation redoutable : c’est d’abord l’organisation puissante des ouvriers. Ils versent chaque semaine une certaine somme dans une caisse dont les administrateurs sont inconnus, et qui vient à leur aide dans les momens où il leur plait d’interrompre tout travail. Il s’ensuit que ces masses aveugles sont dans la main de quelques meneurs qui les conduisent à un