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lui appartiennent pas est inhabile à discuter les questions soulevées par les œuvres modernes. Si Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Titien et Allegri doivent être interrogés les premiers lorsqu’il s’agit de la beauté, Rubens et Rembrandt ne peuvent être oubliés sans danger pour la cause de la vérité. Quoi qu’on puisse dire contre la pureté de leur goût, il faut absolument les compter si l’on veut échapper au reproche d’injustice. Ces deux maîtres puissans, inférieurs sans doute aux cinq premiers, car dans l’heptarchie la plus complète tous les princes ne sont pas égaux, ont trouvé moyen de nous émouvoir et de nous charmer sans imiter leurs illustres devanciers. Je dis sans imiter, je ne dis pas sans profiter de leurs leçons, car Rubens relève à la fois de Michel-Ange et de Titien, comme Rembrandt relève du Corrège, malgré la prodigieuse différence qui sépare le chef de l’école hollandaise du chef de l’école de Parme. Tour se prononcer avec équité sur le mérite des œuvres modernes, il est donc indispensable de connaître familièrement tous les membres de cette glorieuse heptarchie. C’est à cette condition seulement qu’on peut espérer, sinon d’avoir toujours raison, ce qui n’est donné a personne, au moins de réunir en sa faveur toutes les chances d’impartialité.

Au commencement du siècle présent, les idées que nous exposons ne jouissaient pas d’un grand crédit ; à peine quelques voix osaient-elles les soutenir. Quiconque se hasardait à parler de Rubens et de Rembrandt sous le règne de Louis David passait volontiers pour un malappris, ou tout au moins pour un esprit paradoxal. Rubens et Rembrandt étaient traités avec le plus profond dédain par les maîtres et les élèves, qui prétendaient avoir le monopole du goût. Ces deux mauvais garnemens, qui s’étaient avisés d’avoir du talent et de la renommée en dehors de toutes les lois établies, ne méritaient pas même d’être discutés. Pour comprendre la beauté, pour l’exprimer sous une forme pure et harmonieuse, le premier devoir de tout esprit bien fait était de passer devant leurs œuvres sans les regarder, car la seule vue de ces œuvres hérétiques suffisait pour ébranler la foi, pour troubler la conscience. Aujourd’hui, chez nous du moins, la justice est plus facile. Rubens et Rembrandt sont amnistiés. S’ils ne sont pas encore considérés comme exempts de tout péché, si l’on ne consent pas encore à voir en eux des modèles sans danger, on ne dédaigne plus de les étudier. C’est un grand pas de fait, et le jour de la justice est venu pour eux.

En interrogeant tour à tour les sept princes de la peinture, on peut comprendre et apprécier sans partialité toutes les œuvres qui se produisent sur tous les points de l’Europe. Il ne faut pas seulement nous en réjouir dans l’intérêt de la vérité générale, mais il faut y voir aussi le symptôme d’une réaction excellente contre l’invasion de la