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l’un trente ans, l’autre soixante ans après la mort de saint Étienne, premier roi de Hongrie.

J’arrive à la chronique de Simon Kéza, la plus célèbre de toutes, celle qui a servi de modèle aux chroniqueurs hongrois depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’au milieu du XVe. Kéza nous dit lui-même qui il était : dans une dédicace assez bizarre « au très invincible et très glorieux roi Ladislas IIIe » (Ladislas le Cuman), il s’intitule « son fidèle clerc, pour l’aider à contempler celui dont le soleil et la lune admirent la beauté, » c’est-à-dire son chapelain, et ce fut sur la demande expresse de ce roi qu’il rédigea son livre vers l’an 1282. Un grand pas a été fait depuis le notaire anonyme de Béla : l’église, mieux affermie sur ses bases, ne redoute plus les jongleurs, et l’histoire, écrite en prose latine par des clercs, s’ouvre plus largement aux données de la poésie populaire et de la tradition. Non-seulement elle se montre moins ombrageuse à l’égard des chansons et des fables, mais elle leur demande des moyens de succès et de popularité. Ainsi le conte du nain Botond fendant d’un coup de hache la porte d’airain de Constantinople, et terrassant, sous les yeux de l’empereur, un géant grec, ce conte, dont l’anonyme refusait de souiller ses pages, le renvoyant aux paysans et aux jongleurs, Simon Kéza l’insère dans les siennes avec assez de détails. En revanche, il dédaigne de raconter comment Léel, fait prisonnier par les Allemands, enfonça le crâne de l’empereur Conrad d’un coup de trompette. « Il y a des gens qui débitent cela, nous dit-il, mais je leur laisse de telles inepties, qui ne prouvent rien que la légèreté de leur jugement. »

Si le fidèle clerc de Ladislas se préoccupe moins que ses prédécesseurs de la guerre contre les chansons, il en soutient une autre dont l’anonyme ne se doutait pas ; il attaque les écrivains allemands, qui déversaient, au profit de leur race, des injures savantes sur la race redoutable et redoutée des Magyars. Un historiographe de l’empereur Othon Ier avait reproduit, en l’appliquant aux Hongrois, l’ancienne opinion des Goths sur les Huns, exposée par Jornandès, à savoir qu’ils étaient issus du mélange des sorcières Allrunnes avec les esprits immondes errant dans les déserts scythiques : là-dessus, l’auteur démontrait péremptoirement que les Hongrois avaient eu pour pères des démons incubes. Les chroniqueurs allemands, copiant leur compatriote à qui mieux mieux, enchérissaient encore sur ces injures. Il y avait là de quoi faire frémir des chrétiens moins fervens que le chapelain du roi Ladislas. Kéza prend la plume pour les réfuter, et, dans l’éblouissement de sa colère, il confond l’auteur allemand, qui vivait au Xe siècle, sous les empereurs germaniques, avec Paul Orose, disciple de saint Augustin, lequel écrivait sous l’empereur Honorius, et n’a jamais rapporté ce conte, dont la responsabilité