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plus qu’une personne civile, comme nous disons dans le langage du droit ; elle en faisait presque un être animé. La sainte couronne avait sa juridiction, ses officiers, ses propriétés, qui étaient inviolables, son palais, sa garde. Son palais était tantôt le château de Bude, tantôt la forteresse de Visegrade, tantôt celle de Posonie, suivant les nécessités des temps. À Bude, on la déposait dans un compartiment de l’église du château muni d’une épaisse et solide porte perpétuellement surveillée ; elle-même était serrée dans un triple coffre cuirassé de fer et sous une triple clé. Sa résidence de Visegrade était encore plus forte. Construite sur un rocher à pic et protégée à son pied par une seconde forteresse plongeant dans le Danube, la forteresse de Visegrade passait pour imprenable. Une petite chapelle murée y recevait la sainte couronne, toujours enfermée dans sa triple boite. Deux gardiens nommés préfets passaient la nuit à tour de rôle contre la porte murée de la chapelle, et ne la perdaient jamais de vue pendant le jour. Une milice nombreuse et bien armée, placée sous leur commandement, faisait le guet sans interruption, dedans et dehors. Deux grands dignitaires choisis par la diète elle-même dans la plus haute noblesse du royaume et appelés duumvirs de la sainte couronne en étaient les conservateurs responsables. Ils juraient de la défendre au péril de leur vie, et de ne point rompre ni laisser rompre la clôture de la porte à moins d’un décret délibéré solennellement par l’assemblée des trois ordres. Ces précautions indiquaient assez que le dépôt qu’on voulait garantir était menacé de bien des périls. Elles furent impuissantes à les écarter. Tantôt des gardiens ambitieux ou corrompus, tantôt la ruse, tantôt la violence armée, forcèrent l’hôte sacré dans le sanctuaire de sa résidence. Les aventures de la sainte couronne, dérobée, emportée même hors du royaume, reconquise ou rachetée, formeraient une curieuse histoire dans l’histoire de Hongrie. Une fois elle fut perdue sur les chemins par un candidat errant qui l’avait mise dans un petit baril pour la mieux cacher ; une autre fois, en 1440, elle fut donnée en gage par Elisabeth, mère de Ladislas le Posthume, à Frédéric III, empereur d’Allemagne, pour la somme de 2,800 ducats. L’acte passé à cet effet nous apprend qu’elle était alors ornée de cinquante-trois saphirs, quatre-vingts rubis pâles, une émeraude et trois cent vingt-huit opales, et qu’elle pesait neuf marcs et six onces. Enfin en 1529, lorsque Soliman envahit pour la seconde fois la Hongrie, l’empereur Ferdinand ayant voulu enlever les insignes royaux de Visegrade, les gardiens, par excès de fidélité, s’y refusèrent sans un décret de la diète, et pendant ces débats les Turcs purent prendre Visegrade et la sainte couronne, qu’ils donnèrent au duc de Transylvanie, leur protégé. Chaque fois que, par un événement quelconque, la sainte couronne disparut, la vie politique sembla suspendue chez la nation hongroise. Un contemporain de