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ouverte de style byzantin, cadeau fait en 1072 par l’empereur d’Orient Michel Dukas au roi Geiza II, son protégé. Les deux diadèmes, également chargés de pierres précieuses, de figures d’anges et de saints, furent soudés ensemble, de manière à former une coiffure unique d’une grande richesse, mais d’une grande incohérence de style et d’un aspect assez bizarre. C’est dans cet état que la sainte couronne est arrivée jusqu’à nous. Des lettres grecques accompagnent les anges et les saints de la partie byzantine et leur servent de légendes. La croix latine se trouve courbée par suite d’un accident advenu au XVIe siècle, quand la reine Isabelle, sur le point d’être prisonnière, emballa précipitamment la sainte couronne dans un coffre trop étroit et la faussa pour l’y faire entier. Depuis ce temps, on ne l’a point redressée, tant on craindrait de la profaner en y touchant, et elle a servi, ainsi infléchie, au couronnement de bien des rois.

La sainte couronne n’était pas chez les Hongrois un simple emblème de la royauté, c’était la royauté elle-même : elle contenait sous son enveloppe matérielle les droits divins et humains attachés au pouvoir souverain ici que l’entendait le moyen âge. L’ancien droit magyar la qualifiait de loi des lois et de source de la justice : y porter la main, s’en emparer, c’était crime, non de lèse-majesté seulement, mais de sacrilège. Quoique les rois de Hongrie fussent, électifs, l’élection ne constituait pour eux, d’après le droit du pays, qu’une préparation à la royauté, le couronnement seul les faisait rois. Les actes émanés d’un prince élu, mais non couronné, ne devenaient légitimes qu’en vertu d’une sanction donnée par lui après son couronnement. Si, par suite de circonstances quelconques, même par l’effet d’un beau dévouement à la patrie, ainsi qu’il arriva au roi Wladislas sous les murs de Varna, le prince élu mourait sans avoir été couronné, ses actes étaient rescindés comme nuls, et son nom rayé de l’album des rois. Plus d’une fois l’église, dans ses différends avec la noblesse et les rois de Hongrie, essaya de retirer de la sainte couronne les bénédictions qui la rendaient si précieuse, pour les transporter à une autre ; ce fut toujours en vain. Les dons mystérieux dont l’avait dotée Sylvestre II étaient réputés inséparables du diadème de Saint-Étienne. Le peuple n’eut jamais foi qu’en celui-là. Les reliques mêmes du saint monarque, dont on essaya un jour de composer une couronne en l’absence de l’autre, furent impuissantes à faire un roi ; mais aussi, quand on avait reçu la sainte couronne sur la tête, il fallait mourir ou régner. Comme conséquence de cette doctrine, les épouses des rois de Hongrie qui n’exerçaient pas le pouvoir royal devaient être couronnées sur l’épaule droite ; les reines régnantes l’étaient sur le front. Dans ce dernier cas la reine prenait le litre de roi : Moriamur pro rege nostro Maria-Theresa.

L’institution politique des Magyars faisait de la sainte couronne