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l’épée passa entre celles de l’empereur Henri IV, qui en fit cadeau à son conseiller favori Lupold de Merspurg. In jour qu’il allait dîner à la villa impériale d’Uten-Husen avec un brillant cortège de seigneurs, comme l’heure pressait, Henri poussa sa monture en avant, et les courtisans, aiguillonnant leurs chevaux, s’élancèrent sur sa trace à qui mieux mieux. Il y eut un moment de désordre, dans lequel le cheval de Lupold se cabra et lança à terre son cavalier, qui en tombant s’enferra de sa propre épée. On remarqua qu’il portait ce jour-là, par honneur, celle dont l’avait gratifié l’amitié de son maître. Si le glaive du roi des Huns avait cessé d’être fatal au monde, il l’était encore au profanateur qui osait le ceindre à son flanc comme une arme vulgaire.

Attila n’eut point à souffrir de la disparition de ses petits-fils, les rois hongrois de la dynastie arpadienne. La dynastie française qui les remplaça, loin de combattre les souvenirs traditionnels chers à sa patrie d’adoption, s’en montra, comme je l’ai dit plus haut, la gardienne intelligente et zélée. En même temps que Louis Ier introduisait chez les Magyars les institutions littéraires de la France au XIVe siècle, il faisait compulser sous ses yeux les documens relatifs aux origines de la nation ; c’était s’occuper d’Attila. Jean Hunyade et Mathias Corvin, son fils, qui montrèrent sous le costume hongrois à l’Europe du XVe siècle, si peu chevaleresque et si froidement chrétienne, les deux derniers héros de la chevalerie, s’inspiraient sans cesse des chants magyars et du nom d’Attila. Attila et les Huns devinrent l’objet d’une véritable passion à la cour de Mathias Corvin. Sa femme, la belle et savante Béatrix d’Aragon, pour payer dignement le bon accueil des Hongrois, suscita, avec l’aide des érudits italiens qu’attirait sa protection, une sorte de renaissance des lettres hunniques, comme les papes à Rome et les Médicis à Florence suscitaient une renaissance des lettres latines. Et quand Mathias, vainqueur des Turks et le seul adversaire devant qui eût reculé Mahomet II, fut placé d’une voix unanime à la tête d’une croisade préparée par la chrétienté, l’Europe ne vit pas sans étonnement le nouveau Godefroy de Bouillon proclamé par son peuple un second Attila. On trouve de temps à autre, dans les écrits du XVe et du XVIe siècle, la preuve certaine que les traditions sur Attila vivaient toujours, étaient toujours invoquées avec autorité.

Les longues et poignantes infortunes qui s’appesantirent sur la Hongrie après la funeste bataille de Mohâcz, l’occupation de Bude par les Turks et la transmission de la sainte couronne à une dynastie allemande, jalouse de la nationalité magyare, amortirent la tradition sans l’étouffer. Vint ensuite au XVIIIe siècle l’esprit novateur et moqueur, qui de France souffla en Hongrie comme partout, ébranlant dans bien des cœurs la foi aux traditions, le goût des chants nationaux