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et le respect filial du nom d’Attila. En vain chercherions-nous dans les livres hongrois du dernier siècle le sentiment traditionnel, si vif encore au XVe ; s’il s’y trouve, il s’y cache soigneusement, car il rougit de lui-même et craint la raillerie. Il est fort douteux qu’aujourd’hui, malgré le retour aux études de l’antiquité et la mode des vieux blasons, les élégans Magyars de la cour de Vienne osent parler sans rire de leur grand-père Attila. Le peuple seul garde sa mémoire, qui fleurit dans les foires, où se vendent pour les campagnards de rustiques images des rois de Hongrie. Son nom est encore prononcé avec foi sous le chaume du paysan montagnard, principalement en Transylvanie. Là se perpétuent, par la bouche de quelques vieillards, des traditions de plus en plus vagues, qui nous rappellent les chroniques des XIIe et XIIIe siècles. Quant aux chansons nationales, elles semblent être entièrement oubliées : encore un demi-siècle, et le fil de la tradition orale sera rompu.

L’anecdote suivante nous fera voir quelle est encore parfois la susceptibilité du Sicule quand on attaque ses traditions. Un voyageur français parcourait, il y a quelques années, la Transylvanie, dont il se proposait d’observer à loisir les magnificences originales. Les auberges n’abondent pas dans ce beau pays ; mais l’hospitalité y supplée, et notre compatriote fut reçu chez un paysan sicule avec la même cordialité et aussi peu d’apprêt qu’autrefois Ulysse chez. Eumée. La maison était pauvre, mais assez propre. Sur la muraille, crépie à blanc, deux images grossièrement coloriées, clouées l’une en face de l’autre, attiraient tout d’abord l’attention. L’une d’elles représentait un général qu’à son uniforme vert, à son grand cordon de la Légion d’honneur, surtout à son petit chapeau, le Français reconnut aisément, et étendant la main avec vivacité il s’écria : « Napoléon ! » L’autre figure, d’un aspect farouche, était affublée d’une sorte de manteau royal et coiffée d’une couronne à longues dents ; elle portait à sa main une bannière sur laquelle on distinguait un épervier. Ce fut cette fois le tour du Sicule, et comme le Français semblait embarrassé d’attacher un nom à cette figure grotesque, son hôte s’écria d’un air triomphant : Attila Magyarock kiralya ! — Attila, roi des Magyars ! — « Attila n’était point roi des Magyars ; il était roi des Huns, » dit notre compatriote, choqué apparemment de l’anachronisme qui, confondant les Hongrois avec les Huns, plaçait Attila au IXe siècle. « Il n’était pas roi des Magyars ? » reprit le Sicule d’un ton presque suppliant et en fixant sur son interlocuteur un regard qui semblait dicter la réponse. « Non, » répliqua imperturbablement celui-ci. À ce non articulé d’une voix ferme, le front du Transylvain s’assombrit ; il baissa la tête et se tut. Son hospitalité ne cessa point d’être attentive et polie, mais elle devint froide : la confiance avait disparu. Notre compatriote ne s’expliqua