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de ses mains ils purent aborder les plus grands théâtres, de l’Europe, ils déployèrent des qualités différentes avec une égale habileté, et laissèrent le monde indécis, ne sachant auquel des deux usignuoli donner la préférence. Si Farinelli se distinguait par la sensibilité, par un goût sévère et contenu, Caffarelli éblouissait par les prodiges de sa vocalisation luxuriante, qu’aucune femme, même la Gabrielli, ne pouvait égaler. L’un touchait le cœur par l’expression des sentimens, l’autre étonnait l’oreille par les caprices et les sensualités de son gosier ; le premier vous arrachait des larmes, le second des cris d’admiration ; et si Farinelli a été le chanteur des rois, des princes, des femmes sensibles, des grands professeurs et des hommes distingués par la culture de leur esprit, Caffarelli a été celui de la foule ébahie au spectacle de la difficulté vaincue. L’un pourrait être comparé au Tasse, et l’autre à Marini.

— Et pourquoi pas à Homère et à Virgile ? répondit l’abbé Zamaria en riant. Puisque vous les avez déjà comparés à deux oiseaux, continua l’abbé avec malice, Farinelli pourrait être assimilé au cygne, l’oiseau favori des muses, qui chantait sur les ondes du Pénée les louanges d’Apollon, et Caffarelli au phénix, dont le plumage d’or, de pourpre et d’azur, selon Pline, faisait l’admiration des hommes et des dieux.

— Quoi qu’il en soit, continua Grotto, Farinelli et Caffarelli doivent être considérés comme les deux sopranistes les plus extraordinaires qui aient existé, l’un dans le chant tempéré et di mezzo cavattere, l’autre dans le style de bravoure. Autour de ces deux illustres élèves de Porpora, qui se sont partagé l’empire de l’art de charmer les hommes par les inflexions de la voix, on pourrait classer en deux familles distinctes tous les sopranistes célèbres qu’a produits notre pays : dans la lignée de Farinelli, Bernachi d’abord, qui a fondé l’école de Bologne ; son savant élève Mancini ; Orsini, dont la voix de contralto plaisait tant à l’empereur Charles VI et à son maître de chapelle, Fux ; Senesino, qui a eu l’honneur de chanter avec Marie-Thérèse lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant, et dont la voix de messo soprano et le beau visage ont fait les délices de la cour de Dresde, où Haendel est allé le chercher ; Carestini, dont la modestie n’était surpassée que par le goût, le talent et l’expression qui distinguaient ce chanteur favori de Haendel ; Guarducci, non moins touchant, et qui était si remarquable dans la Didone de Piccini ; Salimbeni, beau comme l’amour, élève aussi de Porpora, et dont la voix enchanteresse de soprano avait le privilège de toucher le grand Frédéric ; Guadagni, que vous connaissez tous, le chanteur inspiré de Gluck, l’amant fortuné de la Gabriellu ; Millico, qui l’a peut-être égalé, l’ami intime de l’auteur d’Orfeo et d’Alceste ; Aprile, qui fut aussi un