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Nicolas ; il est d’ailleurs resté toujours plus favorable à la politique de l’Occident qu’on ne l’est à Berlin. Il n’est point impossible que sa sœur, en exprimant le désir de le voir à Pétersbourg, n’ait espéré exercer sur son esprit quelque influence ; mais avant de partir, le prince de Prusse a tenu, dit-on, à bien établir sa position une fois de plus. Il n’a jamais caché les sentimens qui le lient à la reine d’Angleterre et au prince Albert, de telle sorte que si la politique se mêlait à ce voyage de famille, le prince de Prusse ne pourrait évidemment qu’engager le cabinet de Pétersbourg à faire des concessions de nature à rouvrir quelque perspective de paix. Le roi lui-même, au reste, aurait chargé son frère d’agir dans ce sens. Ainsi on voit les principaux traits de la situation actuelle de l’Europe : toute action de la diplomatie est suspendue, la guerre se poursuit, et si les puissances occidentales multiplient leurs efforts, la Russie elle-même ne néglige rien pour augmenter ses armées en Crimée, pour retenir l’Allemagne dans la neutralité, pour prolonger enfin sa résistance par tous les moyens.

Au milieu de cet ensemble d’incidens, il est un fait curieux à plus d’un titre : c’est l’attention que la Russie semble porter sur la Pologne. L’empereur Alexandre II aurait eu, dit-on, le projet de reconstituer la Pologne en royaume indépendant. La difficulté était qu’un royaume indépendant entraînait une armée indépendante, et qu’une armée indépendante pourrait bien sans doute suivre les exemples de 1830. On s’est arrêté pour le moment à des améliorations plus inoffensives. Un ministère polonais serait créé à Varsovie, la langue polonaise serait rétablie dans l’administration, dans l’enseignement, dans les tribunaux. La Russie ne se borne point là. Des émissaires auraient été envoyés, à ce qu’on prétend, dans les divers foyers d’émigration, pour engager les émigrés à demander l’autorisation de rentrer dans leur patrie. En un mot, il y a un effort de la Russie pour se rattacher ce noble et malheureux pays. La question est de savoir jusqu’à quel point ces tentatives réussiront.

Quelque suffisante que soit la guerre pour absorber l’attention des pays qui s’y trouvent engagés, le gouvernement anglais cependant n’est point au bout de ses épreuves intérieures. C’est bien encore un effet de la guerre sans doute ; mais ici la guerre n’est pour les partis qu’un prétexte, qu’une occasion. Lord John Russell a définitivement donné sa démission à la suite des débats qui ont eu lieu dans le parlement au sujet de sa coopération aux conférences de Vienne, et il est remplacé par sir W. Molesvorth, Au premier moment, lord John Russell paraissait dans l’intention de tenir tête à l’orage soulevé par ses révélations sur les propositions autrichiennes ; mais il s’est trouvé que quelques membres du gouvernement n’ayant point entrée au conseil ont manifesté des dispositions qui lui étaient peu favorables, et alors il s’est démis de ses fonctions. Il est assez difficile encore de savoir si ce sera une force ou une faiblesse pour le cabinet. Toujours est-il que la retraite de lord John Russell rendait désormais sans objet la motion de sir Édouard Bulwer Lytton, principalement dirigée contre l’ancien plénipotentiaire anglais à Vienne. Le ministère n’a point eu pour cela une vie plus tranquille. Il échappait à peine à la motion de sir Édouard Bulwer Lytton, qu’il venait se heurter à la motion de M. Roebuck sur l’enquête. La proposition de M. Roebuck, il faut le dire, venait un peu tard tuer un cabinet