Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/681

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de France à Stuttgart pour détacher le cabinet de Paris de l’Angleterre ; Il avait pris hardiment l’initiative de cette démarche, à ce qu’on assure ; il ne fut point désapprouvé à Pétersbourg. Bien au contraire, il fut appelé peu après à Vienne pour remplacer M. de Meyendorf, et c’est lui qui a conduit les affaires de la Russie en Autriche depuis cette époque. Le prince Gortchakof a fait récemment un voyage dans divers états allemands, et il n’a rien négligé pour laisser croire qu’il était sûr de la neutralité de l’Autriche, et même au besoin de son concours. Il a parlé beaucoup des nombreuses audiences qu’il aurait obtenues dans ces derniers temps de l’empereur François-Joseph, de son influence sur le souverain de l’Autriche, influence qui aurait donné cinq cent mille baïonnettes à la Russie ; mais comme tous les succès, même les succès diplomatiques, ont leur revers, le prince Gortchakof parait avoir eu à essuyer dans une circonstance récente quelque petite rectification au sujet de l’une de ses versions. En fait, l’Autriche n’est point absolument dans les dispositions que lui attribue le ministre russe. Elle n’a point certainement adopté une ligne de conduite en rapport avec ses engagemens et telle qu’on était en droit de l’attendre, elle tient cependant à ne point se séparer des puissances occidentales. Elle l’a prouvé dans une circonstance qui remonte à peu de jours. La Russie en effet a offert au cabinet de Vienne de lui concéder les quatre garanties qui ont été discutées dans les conférences, s’il voulait se détacher de l’Occident. L’Autriche est restée fidèle au traité du 2 décembre, après s’être assurée sans doute qu’aux yeux des deux autres puissances l’alliance n’avait point cessé d’exister. Ce traité du 2 décembre, si peu de bonheur qu’il ait eu, reste donc encore un dernier lien entre ceux qui l’ont conclu, et s’il ne fait point de l’Autriche l’alliée active de la France et de l’Angleterre, il la tient du moins à distance de la Russie.

L’Autriche avait, d’un autre côté, à régler sa situation vis-à-vis de l’Allemagne, et ici elle rencontrait la Prusse, qui ne reconnaît ni le traité du 2 décembre, ni l’œuvre de la conférence. De là des débats diplomatiques qui ont fini par une résolution de la diète de Francfort. Par sa décision, la diète remercie l’Autriche des efforts qu’elle a faits en faveur de la paix : elle déclare que dans la situation des choses la confédération n’a point à prendre de nouveaux engagemens, et elle maintient la mise en état de guerre des contingens fédéraux. L’Autriche aurait voulu sans doute que la diète s’engageât plus formellement en faveur des quatre garanties ; la Prusse de son côté, aidée de la Russie, aurait voulu que l’assemblée de Francfort se prononçât en faveur d’une neutralité complète en faisant cesser la mise en état de guerre. Ce n’est donc une victoire pour personne. La politique allemande reste aujourd’hui ce qu’elle était précédemment. Si la Prusse jusqu’à présent n’est point sortie d’une inertie systématique, on comprend qu’elle soit moins que jamais disposée aujourd’hui à prendre un rôle actif. Elle serait même plutôt prête à s’affranchir tout à fait des obligations très peu compromettantes qu’elle avait contractées à l’origine. C’est là du moins le sens d’une dépêche récente de M. de Manteuffel, certes plus favorable à la Russie qu’aux puissances occidentales. En présence de ces dispositions du cabinet de Berlin, quelle peut être la signification du voyage que le prince de Prusse vient de faire à Pétersbourg ? Le prince de Prusse, on le sait, est le frère, du roi Frédéric-Guillaume et de l’impératrice-mère de Russie, veuve du tsar