Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Angleterre on s’attaque plutôt aux hommes qu’aux institutions et aux institutions qu’aux doctrines. Ainsi les écrivains les plus révolutionnaires pouvaient attaquer la royauté sans nourrir aucun sentiment hostile à Louis XV, et vivre en bonne intelligence avec les prêtres tout en sapant les doctrines chrétiennes et en disséquant les livres saints. Le contraire a lieu généralement en Angleterre ; là on attaque beaucoup plus volontiers les ministres que le gouvernement, les classes gouvernantes que les principes traditionnels en vertu desquels elles gouvernent, et le clergé que l’église. Ce qu’on reproche à l’aristocratie, ce n’est pas comme chez nous d’être une aristocratie, c’est de ne pas être assez une aristocratie ; ce n’est pas de gouverner, c’est de mal gouverner. Ce qu’on reproche au clergé, ce n’est pas d’être un ordre sacerdotal, c’est d’oublier ce que doit être un ordre sacerdotal ; c’est de prétendre être chrétien sans l’être. Ce qu’on reproche à toutes les classes, sectes, églises et institutions, ce n’est pas d’exister en vertu de tels ou tels principes, mais de ne pas croire à ces principes. L’absence de sincérité chez les hommes, tel est le grand argument, cher de tout temps aux révolutionnaires de race anglo-saxonne, et dont se servent les modernes écrivains. L’hypocrisie règne et gouverne partout, disent-ils ; ces principes dont vous vous vantez, vous n’y croyez plus naïvement et fortement, vous y croyez par intérêt, par routine, par ruse. Vous essayez de ruser avec l’esprit saint, comme le fit Simon le magicien. Vous ne croyez plus à vos doctrines, et cependant vous êtes tout prêts à traiter d’anarchistes ou d’hérétiques ceux qui n’adoptent pas ces doctrines. Que vos principes soient vrais ou faux, bons ou mauvais, vous n’y croyez pas, et dès lors ils sont frappés de stérilité. Les devoirs qu’ils vous imposent, vous ne les pratiquez pas. Votre bouche est pleine de bonnes paroles, mais votre cœur est vide de bonne volonté. Guerre donc à l’hypocrisie et au mensonge ! Tel est le cri des écrivains modernes, qui, très habiles à découvrir ces deux vices sous toutes les formes, les poursuivent chez l’aristocrate endurci, faux philanthrope, faux libéral, grand prôneur de doctrines à demi chartistes ; chez l’évêque anglican, personnage fastueux, mondain, chrétien des lèvres seulement ; chez le ministre dissident, bigot fanatique, à l’esprit étroit, aux ongles crochus, bassement intéressé.

La discussion s’est donc portée sur la conduite des corps constitués plutôt que sur les doctrines. Cependant il ne faudrait pas croire que la controverse purement philosophique n’ait joué aucun rôle dans ce mouvement. Cette discussion s’est en grande partie concentrée sur l’église anglicane, institution extrêmement populaire, mais illogique et étroite, et qui par cela même pèse comme une tyrannie à bien des intelligences. L’église anglicane n’est pas en elle-même plus