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formes, qu’il avait respectées jusque-là, et qu’il veuille en créer de nouvelles qui soient en harmonie avec lui ? C’est la seule tâche qui lui reste à accomplir, et ce n’est pas, en y regardant de près, la moins difficile : elle est pleine de périls et grosse de catastrophes. Laissera-t-on au temps le soin de détruire ces formes ? Mais elles paraissent déjà à un grand nombre d’Anglais comme autant de costumes de mascarade et de travestissemens. Il serait donc oiseux d’espérer qu’ils consentiront patiemment à rester affublés de toute une défroque gothique qui leur semble ridicule, que leurs écrivains se sont mis à railler depuis une trentaine d’années, et qui, conservée trop longtemps, finira par leur paraître odieuse. Se bornera-t-on à suivre, pour changer la forme des choses, la tactique employée pour en changer la substance ? Mais cela serait aussi absurde que de porter un vêtement de couleurs différentes ou de ne vêtir qu’une partie du corps, tandis que l’autre resterait nue. Fera-t-on table rase de toutes les formes existantes ? Mais alors se dresse ce fantôme de l’anarchie, si redouté du peuple anglais. Bon nombre de préjugés, de vieilles formules et de vieux abus se maintiennent encore, grâce à cette crainte si légitime et si respectable. Ce changement des simples formes politiques ou religieuses, qui rencontre tant d’obstacles dans un pays où l’esprit nouveau a tout envahi, indique assez les limites que les conditions terrestres imposent à l’esprit humain. Ce qui est pour lui le plus difficile à accomplir, c’est le secondaire et le relatif ; ce n’est pas le principal et l’absolu. Il peut découvrir le système du monde et compter les étoiles ; mais s’agit-il d’appliquer un remède convenable à une indisposition passagère ou à une maladie accidentelle, il s’égare. Il peut transformer les cœurs et les âmes, changer les opinions reçues sur Dieu et le culte qui lui est dû, sur l’homme et ses devoirs. Vienne cependant une question mesquine de costume, d’étiquette, de cérémonial et de liturgie : alors il chancelle, trébuche, ou même quelquefois tombe pour ne plus se relever.

De grands changemens se préparent en Angleterre : espérons que ces changemens seront, comme par le passé, de simples métamorphoses ; mais un mot terrible a été prononcé depuis bientôt trente ans contre les vieilles formes et les vieux préjugés sociaux par tous les écrivains anglais ; c’est celui de mensonge, et ce mot, lorsqu’il ne porte point à faux, agit comme un talisman magique et porte le coup de mort aux institutions contre lesquelles il est prononcé. L’Angleterre est entrée dans une sorte de XVIIIe siècle, dans une ère d’anarchie et de négation ; seulement il est curieux d’observer comment ce XVIIIe siècle anglais diffère de notre XVIIIe siècle français. Tandis que chez nous on s’attaquait plutôt aux institutions qu’aux hommes et aux doctrines qu’aux institutions, en