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mouvement religieux et philosophique qui se continue sous nos yeux, et cependant, malgré ses tendances germaniques, il est remarquable qu’à mesure qu’il avançait en âge, l’élément mystique et idéaliste prédominant dans sa jeunesse faiblissait, et le sentiment pratique, humain, purement anglais, s’accusait davantage. Le vieux levain puritain s’est réveillé chez Carlyle, quoiqu’il n’appartienne de fait à aucune église protestante ; il a mis en fuite dans son esprit bien des rêves mystiques, bien des enthousiasmes de jeunesse. C’est surtout à partir de la publication des lettres de Cromwell que ce changement s’est opéré. La même lutte, lutte du reste tout instinctive, se fait remarquer chez les écrivains philosophiques de l’Angleterre ou de l’Amérique qui ont abandonné les doctrines orthodoxes et embrassé les doctrines allemandes. Ils nient toutes les croyances chrétiennes, et ils persistent néanmoins à se dire chrétiens et protestans : telle est notamment la manie de l’éloquent Théodore Parker, qui a abandonné même l’église unitaire, et qui cependant s’obstine adonnera sa philosophie le nom de religion. Presque tous reculent devant le nom de rationalistes et rendent ainsi involontairement hommage au sentiment protestant qu’ils ont respiré dès l’enfance, et qui est si profondément enraciné chez la race anglo-saxonne.

Mais qu’il y ait lutte ou non, l’infidélité, comme on dit en Angleterre, a fait des progrès rapides. Ce mélange de socinianisme et de philosophie allemande, que nous baptiserons, faute d’un autre mot, du nom de rationalisme chrétien, a formé un parti, il est devenu une puissance. Son influence sur la partie cultivée des classes moyennes est considérable. Chaque jour cette doctrine modifie leurs idées, leur manière de penser, leurs préjugés, et répand les germes d’un grand changement non-seulement religieux, mais politique. Nous appelons sur ce point l’attention des observateurs et des philosophes. Voici tout un ensemble de doctrines souvent en contradiction, mais toutes reliées les unes aux autres par une grande unité d’intention, doctrines qui s’adressent surtout à l’élément moderne de la société, aux classes moyennes ; doctrines qui, par ce procédé éclectique et pratique particulier à l’esprit anglais, se composent des élémens religieux, moraux et politiques les plus modernes, le protestantisme, le socinianisme, le rationalisme allemand, plus une très forte dose de républicanisme politique à l’américaine. Quels résultats peuvent-elles amener dans le monde des faits ? Il en est deux que nous pouvons signaler : c’est que les changemens provoqués par ces doctrines, et que je crois plus prochains qu’on ne le suppose, se feront sous une forme toute contraire à celle qu’ils ont revêtue chez nous. Le voltairianisme et l’incrédulité morale, la pure négation religieuse, n’y joueront aucun rôle important ; l’élément