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révolutionnaire français leur sera complètement étranger, et c’est dans l’antique patrie allemande, dans la terre germanique, d’où les idées nouvelles sont sorties, que les Anglo-Saxons iront chercher pour la deuxième fois les élémens de rénovation. Le second résultat, très remarquable aussi, est déjà obtenu en grande partie. La philosophie allemande, impuissante et réduite à régner dans le seul empire dès rêves tant qu’elle reste dans son pays natal, transportée en Angleterre, y devient pratique comme l’esprit du pays même, entre dans le domaine des faits, et commence à exercer une influence notable dans le monde réel. Quel rôle lui est réservé dans l’avenir ? Nul ne peut le dire ; mais on peut, sans crainte de s’avancer, dire dès à présent qu’il sera considérable.

Cette armée semi-germanisante, qui égale presque l’audace du docteur Strauss, est nombreuse, et compte dans la presse anglaise des organes importans. Le plus remarquable peut-être de ces audacieux théologiens est M. William Newman, le propre frère du célèbre oratorien Henri Newman, l’auteur de deux ouvrages qui ont fait grand bruit en Angleterre. L’un est une autobiographie philosophique intitulée : Phases de la foi, épisodes de l’histoire de mes croyances, et le titre du second en dit assez les tendances et le but : l’Ame, ses aspirations et ses chagrins. Après lui, on peut citer M, Froude, sorti, comme M. Newman, de l’université d’Oxford, et frère comme lui d’un anglican célèbre converti à l’église romaine. L’organe principal de ce parti, ou pour mieux dire de ces tendances, est le Westminster Review, le recueille plus original de l’Angleterre contemporaine par la singularité et même la nouveauté des doctrines qui y sont exposées. Derrière le Westminster Review marchent deux autres recueils fort curieux aussi, mais plus spécialement consacrés à la controverse religieuse, — le Prospective Review et l’Eclectic Review. Ces infidèles sont appuyés par les incrédules complets, les philosophes de la nature, les nombreux partisans de la philosophie positive de M. Auguste Comte, — M. Martineau et sa sœur, plus célèbre que lui, puis l’ami de l’un et de l’autre le matérialiste M. Atkinson, et les rédacteurs du Leader, journal radical en politique et singulièrement infidèle en religion. On voit que l’armée est nombreuse, et il s’en faut que nous ayons épuisé l’énumération. Il y a bien d’autres influences que nous pourrions citer, l’influence sourde et latente de Shelley sur tous les esprits capables de sentiment, l’influence toujours agissante de Carlyle sur tous les esprits capables de pensée, et les sonores échos des doctrines allemandes renvoyés par l’Amérique et les transcendentalistes du Massachusetts.

Le mal est allé plus loin toutefois, et il a attaqué l’église anglicane elle-même. Le poison du rationalisme commence à couler