Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était ivre et s’étant brûlé un œil, une joue et à peu près un bras, n’était pas le plus beau des hommes ; pensez un peu, vieux Billy Gazy ! cent livres sterling par an à dépenser. » Et Spriggs fit une grimace hideuse qui démontra son infortune dans toute son ampleur.

« Le vieux Billy Gazy n’était pas capable de beaucoup d’enthousiasme, et ces perspectives dorées ne purent le pousser qu’à frotter avec la manche de sa robe ses pauvres yeux chassieux et à marmotter qu’il ne savait pas, qu’il ne savait pas en vérité.

« — Mais vous, vous savez en revanche, Jonathan, continua Spriggs en se tournant vers un autre malheureux qui était assis sur un escabeau près de la table, et regardait la pétition d’un air hagard. Jonathan Crumple était un homme doux et faible qui avait connu des jours meilleurs. Ses enfans avaient mangé son avoir, et il avait vécu dès lors misérable jusqu’au jour assez récent où il avait été reçu dans l’hôpital. Depuis ce jour, il n’avait connu ni chagrin, ni trouble, et cette tentative pour allumer en lui de nouvelles espérances était réellement une cruauté.

« — Cent livres par an sont une bonne chose certainement, voisin Spriggs, dit-il ; je les ai possédées presque moi-même autrefois, et cela ne m’a fait aucun bien. » Et il poussa un profond soupir en pensant aux enfans de sa chair qui l’avaient rendu misérable.

« — Vous les aurez encore, Jonathan, dit Handy (le chef de la révolte), et cette fois vous aurez quelqu’un qui vous les gardera solidement et scrupuleusement.

« Crumple soupira de nouveau. Il avait appris l’impuissance de la richesse temporelle, et aurait été bien aise qu’on le laissât tranquillement vivre avec son shilling et six pence par jour sans l’obséder de tentations.

« — Approchez, Skulpit, dit en s’adressant à un autre pensionnaire Handy, qui devenait impatient ; vous n’iriez pas, j’imagine, soutenir le vieux Bunce et aider ce prêtre à nous voler tous. Prenez la plume et faites-vous droit à vous-même. Bien, ajouta-t-il en voyant que Skulpit doutait encore ; voir un homme qui craint d’avoir sa volonté à lui, c’est la plus pitoyable chose que je connaisse.

« — Qu’on les noie, tous ces prêtres ! voilà mon opinion, grogna Moody. Vieux mendians affamés, ils ne se croient jamais le ventre plein que lorsqu’ils ont volé tout, et tout le monde.

« — De quoi avez-vous donc peur ? dit le logicien Spriggs ; ils ne sont pas si terribles que cela ; ils ne peuvent vous mettre à la porte lorsque vous êtes une fois reçu ici, non, pas même le vieux catgut (M. Harding) avec toute une armée de têtes de veau pour le défendre. — J’ai le regret de dire que c’était l’archidiacre qui était désigné par ce déplaisant sobriquet.

— Mais, dit Skulpit, M. Harding n’est pas un si mauvais homme. Il nous a donné deux pence de plus par jour.

« — Deux pence par jour ! s’écria Spriggs avec mépris en ouvrant d’une manière effroyable la rouge caverne de l’œil qu’il avait perdu.

« — Deux pence par jour ! murmura Moody avec un juron ; au diable ses deux pence !

« — Deux pence par jour ! s’écria Handy. Et ainsi donc j’irai chapeau en