a fait plus de bruit que vous ne supposez. Avez-vous lu le dernier pamphlet du docteur Pessimist Anticant (lisez Thomas Carlyle) et le premier numéro du nouveau roman de M. Sentiment (lisez Charles Dickens) ? » Et le journaliste tend à Bold une petite brochure. M. Harding avait fourni au docteur Anticant le thème d’un éloquent parallèle entre l’homme religieux d’aujourd’hui et l’homme religieux du moyen âge. Le directeur de l’hôpital y était mis en opposition avec le fondateur de l’hôpital, et très peu à son avantage, comme on peut croire. M. Sentiment, dans le premier numéro de son roman d’Almshouse, avait tracé une de ces caricatures odieuses qu’il sait si bien dessiner, caricatures qui n’existent pas dans la vie réelle, mais qui sont nécessaires au romancier pour frapper l’esprit de la multitude et qui symbolisent admirablement un préjugé, un abus, un égoïsme, un vice. C’est en employant ce procédé un peu grossier, mais infaillible, que M. Sentiment avait obtenu sa popularité immense, sa grande puissance sur l’opinion publique, et qu’il était parvenu à démolir tant de préjugés et d’odieux abus. John Bold soupira profondément en voyant les anathèmes si peu mérités qu’il avait amassés sur la tête de M. Harding, et les caricatures si peu ressemblantes que le plus populaire des écrivains anglais avait tracées du père de sa bien-aimée. Ainsi donc la promesse qu’il avait faite à Éléonore, il ne pouvait la tenir, et dans cette misérable aventure il n’aurait pas même le mérite d’avoir été conséquent avec lui-même. Témérité coupable, voilà le nom que méritait sa conduite.
Heureusement pour le pauvre Bold, qui ne peut plus arrêter l’affaire, le faible M. Harding a pris sa résolution, et il ne veut plus qu’elle soit arrêtée. Lorsqu’Éléonore revient de la maison de John Bold toute joyeuse, pour porter à son père la nouvelle du désistement de son adversaire, elle le trouve tout botté, faisant ses malles et prêt à partir pour Londres. M. Harding a pris son parti : cette rente qu’il tire de l’hôpital lui est insupportable, il résignera ses fonctions et vivra tranquillement d’un petit bénéfice bien insuffisant ; mais la gêne pécuniaire est préférable à une conscience sans repos. Le docteur Grantley dira ce qu’il voudra, pour le moment il s’agit de lui échapper et de partir sans qu’il le sache. Éléonore approuve son père, l’encourage dans sa résolution, et se dévoue bravement à la misère pour assurer à la vieillesse de son père la tranquillité et la paix.
Voilà le docteur à Londres, dans un hôtel d’aspect clérical, situé auprès de la cathédrale de Saint-Paul. Il fait demander une audience au grand légiste sir Abraham Haphazard (lisez sir Édouard Sugden ou tel autre célèbre jurisconsulte tory). Le temps presse. Si le docteur Grantley allait arriver avant que M. Harding n’eût résigné ses fonctions, peut-être n’aurait-il plus le courage de faire ce sacrifice, et il