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va venir, il n’en faut pas douter. Pour l’éviter, M. Harding sort toute la journée, et, naïf clergyman, ignorant des habitudes de Londres, ne sachant d’ailleurs où reposer sa tête, il va le plus innocemment du monde dîner dans une de ces tavernes interlopes, désertes le jour, remplies de bruit et d’animation quand vient minuit. Enfin l’heure du rendez-vous assigné par sir Abraham Haphazard est arrivée. Sir Abraham le reçoit avec courtoisie et prend le premier la parole ; il n’a rien à craindre, tout est fini. Ses adversaires ont retiré leur plainte, et tous les frais sont à leur charge. M. Harding prie alors sir Abraham de lui expliquer les termes du testament de John Hiram. A-t-il droit réellement à l’argent qu’il tire de l’hôpital ? Pour lui, il croit que les affaires sont loin d’être réglées selon la volonté du testateur.


« — La vérité, sir Abraham, est que l’état des choses ne me satisfait point. Je vois, je ne puis m’empêcher de voir que les affaires de l’hôpital ne sont pas conduites selon la volonté du fondateur.

« — Toutes les institutions du même genre sont dans le même cas, monsieur Harding ; les changemens survenus dans notre société ne permettent pas de faire autrement.

« — Très vrai, très vrai ; mais je ne vois pas que ces changemens me donnent droit à huit cents livres par an. Je ne sais pas si j’ai jamais lu le testament de John Hiram, et si je le lisais maintenant, je ne le comprendrais peut-être pas. Tout ce que je vous prie de me dire, sir Abraham, est ceci : Ai-je, comme directeur, un droit légal et évident aux revenus de la propriété, la somme nécessaire à l’entretien convenable des douze pensionnaires une fois mise de côté ?

« Sir Abraham déclara qu’il ne pouvait exactement dire que M. Harding eût légalement le droit, et finit en exprimant l’opinion qu’il serait insensé de soulever une nouvelle question.

« — Mais je puis résigner mes fonctions, dit M. Harding.

« — Quoi ! abandonner l’hôpital, répondit l’attorney général en regardant son client de l’air le plus étonné.

« — Avez-vous lu les articles du Jupiter ? dit piteusement M. Harding en faisant un appel aux sympathies du légiste.

« Sir Abraham dit qu’il les avait lus. Ce pauvre clergyman jeté dans le plus extrême découragement par un article de journal paraissait à sir Abraham un être si ridicule, qu’il ne savait comment lui répondre.

« — Vous feriez mieux d’attendre que le docteur Grantley soit arrivé. Ne vaudrait-il pas mieux retarder toute décision sérieuse jusqu’à ce que vous ayez discuté l’affaire avec lui ?

« M. Harding déclara avec véhémence qu’il ne pouvait pas attendre, et sir Abraham commença à douter sérieusement de l’état de sa raison.

« — Après tout, dit ce dernier, si vous avez une fortune suffisante pour vivre, et si ce…

« — Je n’ai pas six pence de propriété, sir Abraham, dit le directeur.

« — Dieu me bénisse, monsieur Harding, et avec quoi comptez-vous