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mariage, s’il n’a à produire que votre malheur et ensuite nécessairement celui de ce royaume. Pour moi, je vous proteste au surplus que rien n’est capable de m’empêcher de mourir de déplaisir, si je vois qu’une personne qui m’appartient de si près vous cause plus de préjudice en ce moment que je ne vous ai rendu de services à vous et à votre état du premier jour que j’ai commencé à vous servir[1]. »

On sait que Louis XIV ne tarda pas à comprendre tous les devoirs qui lui étaient rappelés avec tant de fermeté, et que la jeune infante Marie-Thérèse fit d’ailleurs sur lui une vive et douce impression. Marie Mancini ne laissa pas même une trace dans ce cœur qu’allaient transformer les séductions de la toute-puissance. Quoi qu’il en soit, Mazarin remplit sa tâche jusqu’au bout avec une persévérance demeurée l’honneur de sa vie. Sans prétendre en rien diminuer cette gloire, il est juste toutefois de remarquer qu’une autre conduite aurait été moralement impossible dans les circonstances où venait de se dérouler ce petit drame. Le mariage de l’infante, désiré avec passion depuis plusieurs années par Anne d’Autriche et Mazarin, était la base même du traité auquel ce ministre, enfin lassé d’une guerre qui lui avait été depuis quinze ans moins utile que nuisible, attachait alors l’éclat de son nom et le repos de ses derniers jours. M. de Lyonne, secrètement envoyé à Madrid deux ans auparavant, en avait fait l’ouverture au nom du cardinal, et celui-ci venait d’engager solennellement sa parole à Lyon, à don Antonio Pimentel, venu dans cette ville pour offrir enfin la paix et la main de l’infante. Mazarin avait fait plus : il venait de rompre lui-même une promesse de mariage donnée à la princesse Marguerite de Savoie, en arguant, pour adoucir la rudesse d’un tel procédé, de l’intérêt sacré de la chrétienté. Oser dans une pareille situation donner les mains à une faiblesse qui aurait servi ses intérêts aux dépens de son honneur et probablement de sa sécurité, se poser en face de la France et de l’Europe comme l’obstacle personnel à la conclusion de la paix, insulter à la fois une petite-fille de Henri IV et une petite-fille de Charles-Quint pour faire monter la seule de ses nièces qu’il n’aimât point sur un trône au pied duquel se seraient agitées toutes les factions, c’eût été là un crime et une faute, et lors même que Mazarin manquait d’élévation, il ne manquait jamais de sagacité.

Mais si clairement que parlassent ses intérêts et ses devoirs, on peut bien croire cependant qu’il dut en coûter beaucoup au cardinal pour repousser une perspective qui aurait élevé sa famille à des hauteurs inespérées. Grandir et enrichir celle-ci, créer aux siens, par

  1. Lettre au roi. De Saint-Jean-de-Luz, 28 août 1659.