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la marche des sons entendus simultanément. Ce que les théoriciens des IXe Xe et Xie siècles, tels que Hucbald, Gui d’Arezzo, Francon de Cologne et Jean Cotton, nommaient tour à tour organum, diaphonie, et plus tard dechant (dis-cantus), est le germe des différentes espèces de contre-points, simples ou fleuris, qui sont arrivés jusqu’à nous et qui nous enseignent l’art de combiner les sons et de former un concert harmonieux. Je pourrai citer telle définition de la diaphonie faite par Jean Cotton, au milieu du XIe siècle, qui ne s’éloigne guère de celles que donnent Zarlino et le père Martini d’une espèce de contre-point fleuri simple. Il dit par exemple : « La diaphonie est un ensemble de sons différens convenablement unis. Elle est exécutée au moins par deux chanteurs, de telle sorte que, tandis que l’un fait entendre la mélodie principale, l’autre, par des sons différens, circule convenablement autour de cette mélodie, etc.[1]. » Ce que Dante a exprimé admirablement dans les trois vers suivans :

E come in flamma favilla si vede,
E come in voce voce si discerne.
Quand’ una è ferma e l’altra va e riede[2]

.

Dans l’ordre de la succession, qui constitue la mélodie, comme dans celui de la simultanéité, qui engendre l’harmonie, les sons s’appellent et s’enchaînent d’après certaines lois d’affinité qui n’ont pas été découvertes en un jour. Il a fallu plus de mille ans de tâtonnemens pour arriver à fixer la succession qui caractérise notre gamme diatonique. L’épuration des intervalles, leur classification en consonnans et en dissonans, les règles qui concernent le mouvement des différentes parties, enfin toute la dialectique musicale est l’œuvre du moyen âge, qui se prolonge jusqu’à l’avènement de Palestrina.

— Comment ? s’écria Lorenzo avec surprise. Notre gamme diatonique n’a pas toujours existé telle que nous la possédons ?

— Dans la nature, oui, répondit l’abbé en souriant, mais non pas dans la théorie. Est-ce que les astres qui roulent sur nos têtes n’ont pas toujours obéi aux mêmes lois ? Cependant, avant Kepler, Newton et notre grand Galilée, qui les ont découvertes, la science astronomique admettait d’autres principes de mécanique céleste. L’homme n’invente jamais rien, il ne fait qu’apercevoir le vrai rapport des choses. Tu le sais aussi bien que moi maintenant, continua l’abbé

  1. Gerber, t. II. Nous nous servons ici de la traduction que donne de ce passage M. de Coussemaker dans son intéressant ouvrage, Histoire de l’Harmonie au moyen âge.
  2. « Comme on voit une étincelle dans la flamme et comme on discerne une voix au milieu d’autres voix, lorsque l’une reste en place et que l’autre se joue autour. » Paradiso, chant VIII.