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Zamaria en regardant Lorenzo d’un air de satisfaction paternelle, le principe de la composition musicale, ce qui fait la base de l’enseignement du contre-point, c’est l’imitation, la faculté de reproduire incessamment une phrase mélodique, d’en déduire les conséquences et d’en former un discours qui ait son commencement, son milieu et sa fin. Ces différentes sortes d’imitation, parmi lesquelles le canon est la plus sévère, vont se confondre dans une forme plus générale d’argumentation qu’on appelle fugue, c’est-à-dire mouvement. Voilà ce grand arcane qui effraie si fort les musiciens ignorans ! La fugue, qui a son principe dans l’imitation, comme toute la musique du reste, — car la mélodie elle-même, lorsqu’elle est un produit de l’art, se compose d’une succession de petites phrases qui se répètent avec une certaine symétrie qu’on nomme carrure, — la fugue, c’est la forme suprême de l’argumentation, c’est le syllogisme avec sa majeure qu’on appelle sujet, sa mineure ou réponse du sujet, et la conclusion, où les motifs précédemment entendus sont rappelés dans une stretta vigoureuse. Or si, toutes les fois que l’esprit humain for- mule un jugement, il obéit nécessairement aux lois du syllogisme qui sont ses propres lois, le compositeur ne peut pas écrire un mor- ceau d’ensemble de quelque étendue où les règles de la fugue ne trouvent implicitement leur application. Il en est ainsi dans tous les arts, dont les magnifiques développemens reposent sur quelques vé- rités premières qui sont à la civilisation ce que les pilotis qui plon- gent dans la mer sont à Venise.

La fugue n’est donc pas ce qu’un vain peuple pense, continua l’abbé en déposant sur la table de nuit la cartella qu’il tenait à la main. Les maîtres qui ont fixé les règles de cette charpente de toute composition musicale ne les ont pas plus inventées qu’Aristote n’a inventé les lois du syllogisme, dont il a signalé l’existence au fond de la raison. Seulement il est arrivé dans l’histoire de la musique ce qu’on remarque dans l’histoire de la philosophie et de la littérature : il y a eu une période de labeur pédantesque pendant laquelle les doctes, absorbés qu’ils étaient par l’attrait nouveau de l’harmonie naissante, se sont complu dans la combinaison abstraite des sons et ont perdu de vue le but suprême de l’art, qui est de charmer l’imagination et d’exprimer les mouvemens de la vie. Pendant cette période, d’ailleurs nécessaire, qui est une sorte d’adolescence de l’esprit humain. les compositeurs savans, qui, chose étonnante, étaient pour la plupart des étrangers, des Fiaminghi, se jouaient avec les formes arides du contre-point, comme les docteurs de l’église abusaient de l’argumentation logique. Le règne de la scolastique musicale, qui a duré à peu près trois cents ans, depuis le commencement du XIVe siècle jusqu’à la fin du XVIe, a préparé l’épanouissement de la renaissance,