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aux premiers temps de la guerre déclarée par Louis XIII à Philippe IV. Il s’était aussi résigné à lui abandonner le Roussillon et les territoires situés au-delà des Pyrénées, résignation commandée par d’évidentes nécessités, puisque l’Espagne n’avait pu les recouvrer lorsqu’elle était servie par l’épée de Condé et par l’émigration d’une si nombreuse noblesse militaire.

Les concessions auxquelles sa faiblesse conduisait cette cour étaient d’ailleurs adoucies pour elle par la perspective de donner une reine à la France. Le roi catholique avait alors deux jeunes fils ; l’union de sa fille aînée avec le roi de France ne semblait donc pas devoir amener pour l’avenir de complications politiques. La nation espagnole se faisait des illusions, que son gouvernement ne pouvait partager, sur la valeur du désistement préalable que donneraient Louis XIV et l’infante de leurs droits éventuels sur la succession de Philippe IV, au cas qu’il mourût sans enfant mâle. Dans les longues négociations des Pyrénées, Mazarin toucha le plus légèrement possible aux dangereuses questions soulevées par les renonciations qu’il était dans l’obligation de souscrire, et c’est une justice à rendre à la sagacité de don Louis de Haro, que celui-ci parut singulièrement douter lui-même de l’efficacité de pareilles clauses, si les événemens fournissaient jamais à une puissante monarchie un prétexte pour s’y dérober[1].

Une objection insoluble avait seule retardé, depuis la mission secrète de M. de Lyonne à Madrid, la signature des préliminaires de paix. Il répugnait au roi d’Espagne de paraître manquer de reconnaissance pour le grand général qui lui avait prêté un si puissant concours ; il lui répugnait davantage de décourager pour l’avenir les princes et les seigneurs disposés à imiter l’exemple de Condé, car c’était renoncer à la politique traditionnelle de l’Espagne. Le cabinet de l’Escurial exigeait donc, pour prix des concessions faites à la France, le rétablissement de M. le Prince dans les bonnes grâces du

  1. « Don Louis de Haro ajouta qu’il voulait sur ce propos me dire confidemment que, nonobstant que dans le conseil de son roi on n’ait jamais pensé à l’alliance qu’avec les renonciations, il n’y eut personne qui fût d’avis de marier l’infante avec le roi, parce qu’ils avaient soutenu, comme lui aussi le croyait, que nonobstant ces renonciations, si son maître venait à perdre ses deux enfans, il serait à souhaiter, et non pas à espérer que la France ne prétendît pas de succéder, et qu’elle ne prît toutes les plus fortes résolutions pour cela. »
    Cette opinion parait avoir été partagée par Philippe IV lui-même, qui ne doutait aucunement du droit éventuel de sa fille malgré les renonciations. D’après une conversation avec Anne d’Autriche, Mme de Motteville prête ces mots au roi d’Espagne : Esto es una pataratta, y si faillasse el principe, de derecho mia hija ha da heredar : — c’est une sottise ; si le prince mourait, ma fille devrait de droit hériter. — Déclaration d’autant plus importante à recueillir qu’au moment où la faisait Philippe IV, des deux enfans vivans à l’ouverture des négociations, le plus jeune était mort.