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vient s’y poser et y faire son nid. On a ici pour les cigognes le respect naïf et touchant qu’on témoigne dans d’autres endroits pour les hirondelles. La cigogne est en effet une hirondelle sur une plus grande échelle ; elle fait aux grenouilles, aux crapauds, aux couleuvres, aux rats, aux mulots, la guerre utile que l’hôte de nos cheminées et de nos vieux châteaux fait aux insectes. Les cigognes sont regardées en outre comme des oiseaux de bon augure. N’ayez crainte qu’on les tue. Heureux le toit près duquel elles daignent s’abattre, plus heureux celui où elles daignent élire leur domicile ! On leur construit même des perchoirs et des abris artificiels pour les attirer : le nid de la cigogne est la couronne de la maison[1] .

L’abondance des eaux qu’on a toujours sous la main devait contribuer à répandre en Hollande les habitudes de propreté, Sans parler de Broek, ce curieux village qui semble détaché d’un vase chinois, nous avons rencontré partout, même chez les pauvres, des instrumens d’étain ou de cuivre que le nettoyage fait d’argent ou d’or. En Belgique, on a fondé, depuis quelques années, des prix de propreté ; en Hollande, on est propre sans le savoir et sans qu’aucun Monthyon s’en mêle. C’est le mercredi, le vendredi et le samedi qu’on fait la grande toilette des maisons. Ces jours de schoonmaking (nettoiement général), la rue appartient aux servantes. On les voit alors puiser, verser, jeter les seaux d’eau avec une sorte d’exaltation. Ces filles, ordinairement si calmes, sortent tout à coup de leur caractère : on dirait les bacchantes de la propreté. En Hollande, on brosse son mur, comme ailleurs on brosse son habit. La façade et l’intérieur des maisons, tout est lavé, frotté, écuré avec un soin impitoyable. On peut donner de cette propreté plusieurs raisons géographiques : il est reconnu que l’atmosphère des Pays-Bas détériore très vite le bois et les métaux, d’où la nécessité de les peindre, de les frotter et de les polir sans cesse pour éviter la moisissure ou la rouille. Si l’hiver est froid et si le printemps est aigre, l’été est quelquefois très chaud, et comme, par suite de l’exiguïté du territoire, les populations se trouvent fort pressées les unes contre les autres, sans le soin qu’on a de nettoyer les maisons et les villes, le pays ne serait point habitable. C’est ainsi que les coutumes nationales dérivent de causes

  1. La cigogne peinte ou sculptée en relief figure sur les édifices publics et sur les fontaines de La Haye. Ce sont les armes de la ville. On nourrit trois ou quatre de ces oiseaux privés dans le marché aux poissons. Quand par accident une cigogne se casse la patte, on pousse quelquefois l’humanité jusqu’à lui mettre une patte de bois. Cette reconnaissance des Hollandais envers les animaux qui leur rendent service est un trait de mœurs qui ne doit pas être passé sous silence. Lors du fameux siège de Leyde en 1574, les pigeons qui apportèrent aux assiégés la nouvelle d’une prochaine délivrance furent respectés pendant leur vie et empaillés après leur mort. Ou les conserve religieusement dans l’hôtel de ville.