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sans résistance la résurrection d’une œuvre ignorée jusque-là. Quand ils ont étudié la gravure de ce morceau, le nom de Daniel de Volterre se présente naturellement à leur esprit, car ils savent que le seul tableau à l’huile de Michel-Ange dont l’authenticité ne puisse être révoquée en doute est la Sainte Famille de la galerie des Offices, et comparant le style de la Fortune, que les Florentins lui attribuent, au style des Sibylles de la Sixtine, ils s’affermissent dans leur incrédulité.

Aussi qu’arrive-t-il ? C’est que les sculpteurs et les peintres de l’Allemagne, philosophes, historiens, archéologues, s’abandonnent rarement à l’inspiration. Non-seulement ils rêvent plutôt qu’ils n’inventent, mais lors même qu’ils s’élèvent jusqu’à l’invention, le souvenir de toutes les manières, de tous les styles qu’ils ont étudiés, détruit la spontanéité de l’expression. Ils imitent les Byzantins, Giotto, Fra Angelico, tantôt volontairement, tantôt à leur insu.

Est-ce à dire que la science philosophique, historique et archéologique soit un danger permanent pour les arts du dessin ? J’aurais bien mal expliqué ma pensée, si le lecteur en tirait une telle conclusion. Non, la science n’est pas l’ennemie de l’art, elle est pour lui au contraire un puissant auxiliaire ; mais elle ne doit être qu’un auxiliaire, et, pour qu’elle ne sorte pas de son rôle, il faut savoir l’appeler à propos. J’ai trop souvent attiré l’attention sur l’éducation des peintres et des sculpteurs français pour blâmer en Allemagne, d’une manière absolue, l’érudition des artistes ; mais je crois fermement que l’école allemande fait à l’érudition une part trop large, et n’accorde pas assez d’importance à l’art lui-même. Chez nous, il faut bien le dire, l’érudition est trop souvent négligée pour la pratique exclusive du métier ; au-delà du Rhin, les choses se passent autrement. La pratique du métier est subordonnée à la philosophie, à l’histoire, à l’archéologie ; les artistes allemands pensent et traduisent leur pensée d’une manière incomplète, tandis que chez nous la pensée est parfois oubliée pour le maniement du pinceau ou du ciseau. Les trois grands noms de l’école allemande dans le passé, Albert Dürer, Holbein et Vischer, justifient pleinement ce que j’ai avancé. Pour quiconque a étudié ces trois maîtres éminens, il est hors de doute qu’ils ont mis constamment l’idée au-dessus de la forme. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que leurs successeurs, leurs compatriotes aient suivi la même méthode.

Albert Dürer, peintre, graveur et sculpteur, a laissé des œuvres immortelles, dont la splendeur et l’autorité ont franchi les limites de l’Allemagne ; ses gravures surtout ont popularisé son talent, et l’on peut voir dans Vasari que les plus grands peintres de l’école italienne n’ont pas dédaigné de le consulter, et parfois même lui ont