Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni Apelle, par une raison que le lecteur devinera sans peine, parce qu’il lui manquait le ciel de la Grèce, parce qu’il n’avait pas devant lui les belles créatures qui posaient pour Apelle et pour Polyclète. Obligé de s’en tenir aux types germaniques, privé des conseils du passé, comment eût-il contrôlé, rectifié, agrandi la nature vivante? C’était là évidemment une tâche au-dessus de ses forces.

Inhabile à deviner la beauté pure, malgré la sagacité dont il était doué, il s’est retourné du côté de la pensée, et dans ce dernier domaine il règne en souverain. Ses gravures, qui se comptent par centaines, attestent la souplesse et la variété de son génie. Étant donné le type germanique, le seul dont il pût disposer, il devait rencontrer l’énergie plus souvent que l’élégance. Il lui est arrivé pourtant de créer des figures de femmes d’une grâce vraiment divine; mais cet éloge, pour demeurer dans les limites de la justice, ne doit s’appliquer qu’à l’expression, car la beauté du corps ne répond pas à la finesse, à l’ingénuité, à l’éloquence du visage.

Parfois, chez Albert Dürer, la subtilité de la pensée dégénère en obscurité. Il y a telle de ses compositions qui peut s’interpréter de diverses manières sans que les esprits les plus pénétrans soient assurés d’en posséder le vrai sens. La bizarrerie, l’étrangeté prennent la place de la finesse, et défient l’attention la plus obstinée. C’est pourquoi les œuvres d’Albert Dürer, malgré le mérite éminent qui les recommande, offrent plus d’un danger. Par la composition, par le mouvement des figures, par l’expression des visages, elles se placent au premier rang; pour l’élégance, pour l’harmonie linéaire, elles laissent beaucoup à désirer. Cependant il y a dans sa pensée tant de profondeur, il interprète avec tant d’éloquence l’histoire et la philosophie, il prête aux traditions religieuses un accent si pénétrant, qu’il doit être compté parmi les plus beaux génies. Tout en donnant raison à Vasari, tout en reconnaissant qu’Albert Dürer ne s’est pas développé sous le ciel de l’Allemagne aussi heureusement qu’il l’eût fût sous le ciel de l’Italie, il faut l’admirer comme une des imaginations les plus fécondes dont l’histoire ait gardé le souvenir.

Hans Holbein a tenu plus de compte de la beauté qu’Albert Dürer. faisait un choix judicieux parmi les modèles que la nature lui offrait. Cependant il ne s’est pas élevé jusqu’aux plus hautes régions de l’art. Quoique ses figures se distinguent généralement par un goût sévère, on ne peut pas dire qu’elles atteignent jusqu’à la beauté pore. Il possédait une fantaisie puissante : les vastes compositions qu’il a exécutées en Angleterre pour le palais de Henri VIII sont là pour l’attester; mais s’il prodiguait les trésors de son imagination lorsqu’il s’agissait de concevoir, à l’heure de l’exécution il se montrait plus prudent et plus réservé. Il inventait hardiment, avec une