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liberté que nul maître n’a dépassée, puis, le moment venu de réaliser sa pensée, de lui donner un corps, de la rendre visible, il prenait la nature pour guide et ne s’en écartait guère. De là vient que ses compositions les plus poétiques, celles même qui nous étonnent par la nouveauté, par la variété des incidens, produisent sur nous une impression toute différente dès que nous arrivons à l’étude individuelle des personnages. Cet esprit, si audacieux dans ses conceptions, consulte la réalité avec une persévérance, une obstination que sa nature semblerait devoir lui interdire. Idéal quand il invente, il devient quand il exécute presque prosaïque, tant il multiplie, tant il accumule à plaisir les détails que la nature vivante lui a révélés.

Pour comprendre pleinement la valeur du génie d’Holbein, il faut envisager ses œuvres sous ce double aspect, car si l’on se bornait à estimer la richesse de l’invention, on serait porté à le classer parmi les plus grands peintres du monde. Or ses droits ne vont pas jusque-là : égal aux maîtres les plus illustres dans le domaine poétique, la justice veut qu’on le range au-dessous d’eux pour la partie technique de la peinture. Et si je me sers de cette expression, c’est faute d’en pouvoir trouver une plus précise. Mon intention n’est pas de mettre en doute son habileté dans le maniement du pinceau : ce que je veux indiquer, ce qui est évident pour tous ceux qui ont étudié ses œuvres, c’est qu’il ne simplifie pas assez résolument les détails offerts par le modèle vivant. Or la simplification du modèle est une des conditions les plus impérieuses de la peinture. Copier tout ce qu’on voit, montrer tout ce qu’on a vu, peut exciter l’étonnement et révéler une habileté consommée, mais la peinture ne saurait pas s’accommoder de cette transcription littérale. Pour ouvrir au génie le plus heureux les rangs de la famille prédestinée, elle demande, elle exige quelque chose de plus, et Hans Holbein ne paraît pas avoir songé un seul jour à la nécessité de simplifier ce qu’il voyait. En exécutant ses figures, il a voulu rendre tout ce qu’il avait observé ; ses figures ont toujours quelque chose d’anecdotique. On me répondra : C’est la nature même ; que souhaitez-vous au-delà ? Cet argument si terrible est réduit à néant par le témoignage de l’histoire. Nous voyons en effet tous les chefs des grandes écoles, dans la peinture et la statuaire, simplifier le modèle : c’est à ce prix seulement qu’ils ont conquis mie immortelle renommée, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’ils nous ont donné tout à la fois quelque chose de moins et quelque chose de plus que la nature : quelque chose de moins, puisqu’ils ont éliminé un grand nombre de détails ; quelque chose de plus, puisqu’ils sont arrivés par cette élimination à nous émouvoir, à nous charmer autrement que la nature même. Après