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de recevoir, par la révolution de 1660, une consécration régulière et légale. L’idée dont Mazarin avait été l’instrument habile triomphait donc sur tous les points à la fois, et ce ministre pouvait se promettre pour son œuvre un avenir séculaire. Ce fut dans la plénitude de ses succès et de ses espérances qu’il dut payer sa dette à la mort. De cuisantes souffrances qui lui annonçaient une fin prochaine rappelèrent enfin cet esprit tout plein des intérêts de la terre à la salutaire contemplation de leur vanité. Le cœur de Mazarin n’avait battu durant vingt années que pour la puissance et pour la richesse ; on l’avait vu dans les derniers temps de sa vie « prendre encore plaisir à faire repasser par ses mains quasi tout le royaume pour le donner pièce à pièce à ses nièces et à ses amis. » Cependant celui que la plus bienveillante des femmes soupçonnait « d’être à peu près sans religion » trouva, soit dans les lointains ressouvenus de l’enfance, soit dans de miséricordieuses visitations, assez de force pour remplir d’une manière édifiante tous ses devoirs de chrétien, et pour faire jusqu’au bout « bonne mine, à la mort, en la regardant avec une intrépidité pareille à celle des plus grands hommes[1]. »

Ainsi finit le ministre pour lequel la postérité a commencé depuis deux siècles sans qu’il y ait encore conquis sa place définitive. J’ai voulu me donner à mon tour quelque droit de juger cette mémoire ballottée entre l’intrigue et la grandeur. J’ai dit par quelle inspiration naturelle de la régente le cardinal était monté au pouvoir pour l’aider à défendre contre les grandes factions princières le dépôt alors si menacé de l’autorité monarchique ; je l’ai montré aux prises avec des difficultés surmontées quelquefois par sa souplesse, mais aggravées le plus souvent par son imprévoyance. En recueillant les témoignages contemporains, j’ai constaté l’encouragement donné aux factions par une guerre extérieure systématiquement continuée dans la pensée de les empêcher de naître. Durant la fronde, nous avons vu le cardinal courageux, mais hésitant, nouant simultanément les intrigues les plus contraires, suivant d’ordinaire les événemens sans les dominer, et si dans la victoire du représentant de l’autorité royale nous avons salué celle de la France, attaquée dans sa puissance, compromise dans son unité, nous avons dû, dans cette victoire, faire à l’impéritie des vaincus une part plus grande qu’à l’habileté du vainqueur. Sans méconnaître les rares qualités de l’homme pour lequel ni les cabinets ni les consciences n’avaient de secrets, je n’ai trouvé dans les actes de son administration intérieure ni vues, ni projets, ni rien qui s’élevât au-dessus de la manutention

  1. Mémoires de Mme de Motteville. Mazarin mourut le 9 mais 1661, à l’âge de cinquante-neuf ans.