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quelques-unes de ses péripéties en cherchant à nous rendre compte de ses avortemens. Raconter les débuts de Haydon, caractériser l’homme et le peintre d’après ses relations et ses travaux, puis le suivre dans la dernière période de sa vie, et l’apprécier d’après ses écrits aussi bien que d’après les tentatives de son pinceau, tel sera l’objet des deux parties de notre étude.


I.

La pensée constante de Haydon, le grand mobile qui détermina tous ses efforts, ce fut l’ambition de devenir un peintre d’histoire. Sa décision était prise dès le bas âge, avant même qu’il eût quitté le port de mer du Devonshire où il était né, c’est-à-dire avant qu’il pût se faire une idée du genre de peinture qu’il choisissait pour son domaine. Et il ne semble pas que, durant ses premières années, il eût manifesté aucune aptitude particulière ; il avait seulement montré, ce qui est si commun chez les enfans, un certain penchant à crayonner sur du papier, ou sur n’importe quoi, d’informes essais d’imitation. Son père, qui tenait une bonne maison de librairie, avait assez naturellement considéré ces croquis comme des fantaisies d’écolier, et n’ayant que ce fils, il le destinait à continuer ses lucratives affaires. Pour le jeune Haydon, c’eût été là sans doute le chemin facile de l’aisance ; mais il se refusa à y entrer, et après un conflit de volontés qui dura de sa treizième à sa dix-huitième année, ce fut lui qui l’emporta sur ses parens. En dépit des larmes de sa mère et de la colère de son père, il partit, comme il le dit lui-même, « pour Londres, sir Joshué Reynolds, le dessin, l’anatomie et le grand art. »

Ce qu’il sentit et ce qu’il fit à son arrivée dans la grande ville, ses propres paroles nous l’apprendront. « Je fus bientôt installé, et après

m’être lavé, habillé et restauré par un déjeuner, je me mis en route 

pour l’exposition. » — C’était l’exposition annuelle de l’Académie royale, qui se trouvait alors ouverte, et où il put passer en revue les principaux artistes du jour. — « Après quoi je battis en retraite en me disant : Je ne vous crains pas ! Puis je m’informai d’un mouleur, j’achetai une tête du Laocoon, des bras, des pieds et des mains ; je déballai mes albums, et le lendemain, avant neuf heures, j’étais en pleine besogne, dessinant d’après la bosse, et tout bouillonnant d’ardeur pour le grand art, et de défis lancés à toute opposition. »

De la part d’un novice de cet âge, et qui plus est d’un provincial à peine débarqué, cela est caractéristique et suffisamment empreint d’assurance. On pourrait être tenté de ne voir là que le langage de l’ignorance et de l’inexpérience ; mais il n’est guère possible de s’arrêter à cette interprétation. Nous aurons lieu de nous apercevoir que