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lui durant une longue carrière : ses pieuses supplications ne s’interrompirent point, et jusqu’à son dernier moment elles ont laissé trop de traces dans ses mémoires pour qu’il ne faille pas en chercher la source dans un instinct vivace de son être. Cet instinct, on pourra le traiter de superstition ; on pourra le ranger au nombre des faiblesses qui dérogent au rôle majestueux que les hommes croient jouer dans la création, et à vrai dire le présomptueux Haydon, importunant le ciel de ses prières, présente une image assez ridicule de la piété. Cependant n’est-il pas possible que l’esprit le plus indépendant et le plus résolu à compter sur ses propres forces conserve encore un vague sentiment de la faiblesse humaine, que, même au moment où il rejette tout appui de ses semblables, il entende encore en lui une voix qui doute et qui le pousse, tout effrayé, à demander secours à une intervention surnaturelle et divine ? Que ce soit là une énergie ou une infirmité, toujours est-il que c’est là une tendance essentiellement humaine. Elle s’est certainement révélée chez les natures les plus hautement douées, et pour peu que l’on creuse, on la retrouve jusque chez les hommes dont l’audace et l’assurance semblent avoir foulé aux pieds toute autre hésitation.

Après quelques mois d’étude assidue et de vie solitaire, nous voyons le jeune Haydon entrer en rapports avec le monde des artistes de la capitale. Une lettre de recommandation, qu’il tenait d’un oncle, lui ouvrit la maison d’un M. Prince Hoare, qui d’abord s’était occupé d’art, et qui depuis avait quitté la palette pour la littérature. Par son entremise, il arriva bientôt à connaître assez familièrement plusieurs des peintres les plus célèbres, et il s’entretint avec eux de la direction de ses études ; mais, autant qu’on peut en juger, c’était bien plutôt pour leur faire approuver ses méthodes que pour connaître leur opinion et en profiter. Voici en quels termes il nous parle d’un de ces maîtres, le dernier qu’il eût consulté : « Il me donna beaucoup de bons avis ; mais c’est étrange quelle puissance j’avais pour cribler les conseils et pour rejeter tout ce qui allait à l’encontre de mes propres décisions. »

Cette manière de procéder est au contraire fort générale chez ceux qui sont libres de n’écouter que leur volonté, et ce fut là la principale cause des avortemens de Haydon. Rien ne saurait être plus funeste à un jeune homme que d’avoir trop tôt la bride sur le cou, à moins qu’il ne se trouve tout de suite aux prises avec les plus impérieuses nécessités de la vie. Nous savons que notre jeune artiste avait déjà secoué toute autorité de famille bien avant d’être au terme de sa minorité, et non-seulement il resta sans guide, mais son père eut encore la faiblesse de .subvenir à ses dépenses pendant les premières années de son séjour à Londres. Cette complaisance provenait, nous