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l’admettons, d’un sentiment très naturel; cela ne l’empêcha pas de porter de mauvais fruits. Il est vrai que, sur sa pension, Haydon donna peu ou rien à la débauche; mais la position d’un jeune homme comme lui, abandonné, sans raisons valables, au milieu d’une grande ville, avec ses dix-huit ans et de l’argent à dépenser, n’était pas moins entourée de périls; et si Haydon eût réussi à s’élever dans sa profession, il faudrait noter le fait comme une heureuse exception, peut-être sans précédent. Même en présence de son insuccès, il y a déjà lieu d’admirer que cette course sans frein et sans guide ne l’ait pas entraîné dans les bas-fonds du vice et de la dégradation.

Haydon avait passé environ un an à Londres lorsqu’il fut rappelé dans sa ville natale par une grave maladie de son père, maladie qui toutefois n’eut pas de suites funestes. Lorsqu’il arriva, le danger était déjà passé, et sans perdre de temps il reprit sous le toit de la famille ses études anatomiques, à la grande incommodité de sa mère. Les débats du passé recommencèrent entre lui et ses parens : sa résolution de s’adonner à la peinture fut de nouveau combattue, et de nouveau la lutte se termina pour lui par une victoire. Non content de céder, son père renouvela la promesse de le soutenir de sa bourse jusqu’à ce qu’il pût lui-même se suffire, et après quelques arrangemens il regagna Londres. C’est pendant ce séjour en province que Haydon reçut une lettre où on lui annonçait la première apparition d’un débutant destiné à devenir célèbre. « Il nous est arrivé, lui écrivait de Londres un jeune collègue, une grande, pâle et baroque charpente d’Écossais, un drôle de garçon, mais qui a en lui quelque chose; il se nomme Wilkie. » Wilkie étudiait alors sur les bancs de l’Académie royale; Haydon, qui lui-même à son retour y fut admis comme élève, eut journellement l’occasion de le rencontrer, et leur liaison se changea vite en une étroite amitié, malgré une différence de caractères si prononcée, qu’ils ne semblent pas avoir pensé ou agi de même pendant trente-six années d’intimité.

On pourrait supposer qu’une fois admis à l’Académie, Haydon était enfin entré dans la voie régulière des études spéciales, et que désormais il allait avoir des guides plus éclairés et plus sûrs que les entraînemens et les hasards de sa propre exaltation; mais en 1806 l’Académie royale était loin de ressembler à l’École des Beaux-Arts de Paris, et de nos jours même on ne peut pas dire qu’elle s’en soit beaucoup rapprochée, car c’est en dehors de son influence que s’est en grande partie accompli le progrès moderne de l’école anglaise. A l’époque dont nous nous occupons, les élèves faisaient à peu près ce qui leur plaisait. Il n’y avait pas de professeur pour leur enseigner la base de tout art : la science pure et sans manière du dessin et du modelé; à vrai dire, un homme à la hauteur de cette tâche eût été