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va droit ou de travers suivant le guide qui lui vient. Quand elle tombe juste, c’est encore de sa part une sorte de méprise. Toujours est-il qu’un succès comme celui de Haydon suppose des circonstances spéciales; il n’a été possible que dans un milieu où l’ignorance était à peu près universelle à l’égard des matières en litige.

Dans l’Angleterre d’alors, le goût général attendait encore l’éducation la plus rudimentaire. On l’avait égaré. Les règles élémentaires de l’art étaient pour la plupart ignorées ou mal entendues, si ce n’est par un très petit nombre d’individus. Il n’existait aucun corps d’idées justes sur le dessin, le modelé, et les autres principes du même genre. Le brillant et l’effet étaient la grande préoccupation des débutans, et il est à peine besoin de remarquer que ces qualités sont on ne peut moins du ressort d’un novice. Les notions sur lesquelles vivait l’époque se réduisaient à quelques demi-apercus tirés de sir Joshué Reynolds, — et non pas de ses écrits, où il a exposé les vues les plus larges et les doctrines les plus vraies, — mais de ses procédés et de ses œuvres, qui, malgré son génie, n’étaient toujours que les résultats compliqués et longuement perfectionnés, d’une vieille pratique qui s’était faite elle-même sans un fonds suffisant d’études préparatoires.

Des principes qui n’avaient pas d’autre base ne pouvaient manquer d’être vagues et insuffisans, peu propres à développer une école de peintres savans, peu propres, par cela même, à créer un noyau d’appréciateurs compétens, — puisque ce sont les artistes qui forment le goût général. Ajoutons à cela que les principes et les procédés de Haydon, tels qu’il les a exposés et mis en œuvre, dérivaient aussi de la source où son public avait puisé, ce qui leur assurait l’avantage d’être facilement saisis. Ils ne dépassaient pas la portée des intelligences; ils ressemblaient aux choses qu’on avait appris à tenir pour belles, et de la sorte ils se trouvaient comme admirés de plein droit, si mal qu’ils remplissent les conditions d’une véritable excellence.

En tenant compte de ce défaut général d’éducation, on comprend que dans la foule de ses admirateurs l’élite même de la société se soit rencontrée côte à côte avec le troupeau qui ne sait pas ce qu’il fait. On y remarquait les grands, les sages, les gens d’esprit, et, ce qui est plus frappant, bon nombre d’artistes distingués. Ce dernier fait surtout est éloquent. Rien ne saurait accuser plus énergiquement le triste état des lumières en fait d’art. Disons cependant, pour être juste, qu’ici encore il faut probablement faire une part assez large à l’influence personnelle du peintre, et que la plupart des artistes qui l’ont admiré et qui lui ont survécu semblent avoir beaucoup rabattu de leur enthousiasma sur son compte. Après les