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une figure, et les œuvres qu’il traitait de la sorte n’étaient pas des esquisses ou de légers croquis : c’étaient de vastes compositions historiques ou religieuses, avec des personnages de dimension colossale et quelque vingt pieds carrés ou plus de superficie.

A côté de cette précipitation impatiente et désordonnée, il y a comme une contradiction à mentionner le temps et le soin qu’il mettait à se préparer, par des lectures et des recherches, à chacune de ses compositions; mais sa vie entière n’a été que paradoxe et inconséquence. Il compulsait des autorités pour se renseigner sur les événemens qu’il voulait mettre en scène, sur les mœurs et les costumes vrais de l’époque; il faisait pour ses figures et ses accessoires de nombreux dessins d’après nature; il étudiait même l’anatomie de ses personnages et de ses poses. On peut s’étonner que tant de travail ait été stérile; il en est ainsi pourtant, et cela nous donne lieu d’insister sur le peu de vocation qu’une telle stérilité accuse chez un artiste auquel n’ont manqué ni les occasions ni les ressources. La vérité est d’ailleurs que toute cette érudition historique n’a que peu à démêler avec la question dont s’occupe le peintre. A cet égard, les artistes sont dans une grave illusion. Ce que nous demandons à un tableau ou à une statue, ce n’est pas un cours d’histoire ou de morale; la moindre page d’un livre d’enseignement remplirait beaucoup mieux cet office, — et il y a grande raison de croire que les facultés esthétiques ne tiennent qu’une place très restreinte chez un homme, quanti il les met au service de n’importe quel but qui n’est pas leur but à elles et leur propre satisfaction. Quelles facultés dominaient chez Haydon, et à quoi était-il le plus apte? Nous aurions peine à le dire, tant il s’est dispersé avec une sorte d’indifférence, en montrant la même prestesse dans toutes ses multiples entreprises; mais assurément le choix qu’il a fait de la peinture pour sa principale occupation est ce qu’il y a de plus inexplicable et de plus déraisonnable aussi dans sa vie. Quelles qu’aient pu être ses capacités générales, il est clair que dans cette direction elles étaient radicalement en défaut, et que dès le principe elles s’étaient fermé, en la prenant, toute chance de succès.

En vérité, plus on considère cette destinée extraordinaire, plus on la trouve remplie de contradictions, et la célébrité de l’artiste, à côté de ses preuves réitérées d’impuissance, n’est certes pas la moindre. On a vu, cela n’est pas douteux, bien des réputations usurpées chez des populations beaucoup plus savantes en fait d’art que ne l’étaient les Anglais de cette époque. La multitude, sans laquelle il n’y a pas de popularité, représente même un élément certain d’erreur : elle est comme un aveugle Polyphème, qui ne peut que rester en place ou tâtonner tant qu’on ne le prend pas par la main, et qui