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raillerie de cour, de celle dont jusqu’au pied de l’échafaud la reine-dauphine conservera l’imperturbable usage, en un mot de la moquerie à la française, fine, élégante, mordant au vif, impardonnable lorsqu’on la saisit, et qui sent son Louvre d’une lieue.

Si j’excepte certaines scènes au château de Lochleven, où Scott l’a mise aux prises avec l’austère matrone mal née[1] qui la tient sous les verrous, jamais l’infortunée Marie ne fut peinte plus exactement que dans la scène avec Burleigh. Comme elle le reprend, le tourmente, le harcèle, l’agace, l’interrompant à chaque minute, pour lui prouver que ses expressions rendent mal ce qu’il vient lui dire! Quelle colère de bull-dog que celle qui se réveille sous les traits d’esprit de la reine, et qui, faute de bonnes raisons pour répondre, ne sait avoir recours qu’à la brutalité ! « Crois-tu que je vienne ici pour m’escrimer contre toi dans un combat de paroles? » s’écrie Cecil, et cette phrase grossière résume assez bien l’impuissance devenue féroce de ses ennemis, et sous laquelle Marie a succombé. Un combat de paroles! En effet, ce sont là de ces joutes d’adresse où la pesanteur du pratique, du business-like Burleigh serait malvenue à s’escrimer contre la finesse et l’agilité de la nièce des Guise. Schiller a senti, comme Scott, tout ce que son éducation avait prêté à Marie de raffiné et d’excessif, toutes ces habitudes d’intelligence qui se révèlent jusque dans les devises qu’elle se plaisait à composer, et qui, si elle avait été moins jolie, si elle avait moins aimé la musique et la danse, eussent fait d’elle une pédante, j’allais presque dire une ergoteuse.

Pour ma part, je ne puis assez remercier Mme Ristori d’être entrée si avant dans le personnage. Dans toute la scène que j’indique, on voit qu’elle sait aussi bien que Schiller ce dont il s’agit, et je retrouve là, comme au troisième acte, comme partout du reste, la vraie femme du XVIe siècle, cette grande dame forte en logique et disputeuse, qui soutenait à douze ans une thèse latine pour le plus grand ébattement de la gaie cour de France, et qui, au milieu des passions qui l’entraînent, garde toujours au fond du cœur un instinct de chicane capable de faire honneur à ce que la basoche a de plus retors. Au troisième acte, cette femme qui insulte Elisabeth au nom d’un droit qu’elle n’a pas, qui foule aux pieds la fille de Henri VIII au nom d’une tache de naissance fort discutable, cette femme qui mourrait en ce moment de honte et de rage, si elle ne se croyait réellement l’incarnation vivante de l’idée royale, — n’est-ce pas la même qui jadis, lorsque le sang de Rizzio fumait encore sur sa robe, se redressait terrible sous le couteau de Ruthwen en s’écriant, toute sans défense qu’elle était : « Plus de larmes maintenant, mais vengeance? » Rien ne caractérise mieux Marie Stuart que ce courage, que cette imprudence poussée jusqu’au sublime. Qu’elle n’ait jamais vu Elisabeth, personne ne le conteste; mais après la bataille de Carberry-Hill, prisonnière de lord Lindsay, ne mît-elle pas à défier son ennemi vainqueur la même audace que Schiller a retracée? « Par la main que je mets présentement dans la vôtre, j’aurai votre tète, mylord, pour tout ceci[2]. » et c’est à l’homme qui la tient dans sa puissance, à celui qui croit l’avoir humiliée,

  1. Lady Douglas de Lochleven, mère du régent Murray, le fils bâtard de Jacques V.
  2. Voyez Mahon’s historical Essays, page 94. Murray, Londres, 1849.